Caractérisation des fautes en fin de formation. Expérience pédagogique dans un cours de traduction spécialisée allemand - français.
Claire Allignol, Université Stendhal Grenoble 3
ABSTRACT
L'auteure se penche sur les performances de groupes d'étudiant(e)s de 4ème et de 5ème années qui suivent son enseignement en traduction spécialisée (essentiellement technique) allemand -français. Après l'exposé de la progression didactique des 4 semestres considérés, l'auteure définit ses objectifs pédagogiques, et présente l'objet de son étude et la méthode retenue. Son but est de tenter de mieux comprendre comment les étudiants progressent, plus précisément l'interaction entre l'évaluation des travaux par l'enseignant et l'amélioration des performances des apprenant(e)s. Pour cela, il lui faut observer systématiquement les types de fautes les plus fréquents, proposer un diagnostic, le communiquer aux étudiants et observer la modification de leurs manières de procéder. L'examen et la correction des travaux s'appuient sur les méthodes de la révision. Mais les processus à l'oeuvre durant une opération intellectuelle aussi complexe que la traduction sont très largement inconnus, ce qui rend aléatoire la mise en place d'une démarche pédagogique vraiment assurée. Pour pallier partiellement cette difficulté, l'auteure mise sur le questionnement des étudiant(e)s. Dans l'interaction avec les apprenant(e)s, elle voit un moyen de les rendre les plus conscient(e)s de leur manière (individuelle) d'aborder les difficultés, de les éluder, de simplifier des questions complexes, de concevoir un scénario exact ou erroné. Le but est qu'un(e) étudiant(e) ne répète pas les mêmes erreurs, parce qu'il (elle) a acquis des méthodes de travail professionnelles et pris l'habitude de réfléchir au cheminement intellectuel à l'origine d'une erreur.
ABSTRACT
This article is based on the empirical study of translation work by 4th and 5th year students studying specialised translation. Observations conducted throughout several semesters highlight the most frequent errors made in order to understand how students progress and ultimately to help them acquire professional working methods which will prevent them from repeating those errors.
KEYWORDS
Traduction, didactique, révision pédagogique, analyse des fautes, compétences en traduction
1. Introduction
L'université Stendhal Grenoble 3 propose un cursus de formation de traducteurs et traductrices comportant trois années d'enseignement et commençant après deux ans d'études universitaires. En troisième année, les étudiant(e)s suivent un cours de terminologie et traductologie et un autre d'initiation à la traduction spécialisée. Nos apprenant(e)s doivent avoir suivi ce cours et réussi leur année pour prétendre entrer en master de traduction. La première année du master met l'accent sur la traduction dans les grandes ONG, puis sur la traduction technique. Les textes de vulgarisation ou destinés à un public de non-spécialistes (tels que les modes d'emploi) sont alors privilégiés. En cinquième et dernière année, les cours de traduction sont centrés sur les textes juridiques et techniques écrits par des experts pour des experts.
La cohérence du cursus nous semble assurée, mais elle est tout de même remise en cause par l'arrivée d'étudiant(e)s d'autres universités en quatrième et en cinquième années. L'admission en cinquième année se fait sur tests écrits et oraux. Chaque rentrée, il y a donc dans le groupe un certain nombre d'étudiant(e)s qui ont suivi une préparation différente, et nos enseignants ne connaissent avec précision ni les points forts des enseignements dispensés auparavant, ni la façon dont les travaux des étudiants ont été jugés et notés précédemment. Nous ne savons pas, notamment, si :
- les enseignants de traduction étaient des traducteurs professionnels ou 'seulement' des spécialistes de la langue source ;
- l'équipe enseignante avait convenu d'un barème pour la notation des traductions ;
- les critères de notation intégraient un scénario de communication, la fonction du texte en langue cible, le profil du destinataire du texte traduit, ou s'ils étaient centrés sur le transfert linguistique.
Il nous semble intéressant de documenter et d'étudier les types de fautes afin de tenter de comprendre comment chaque étudiant(e) arrive à surmonter ses difficultés et à améliorer ses performances avec l'aide de l'équipe enseignante.
2. Méthode
Nous avons réuni un certain nombre de travaux d'étudiantes (see Note 1). Pour celles qui sont inscrites dans notre université depuis l'entrée en quatrième année au moins, il a été possible de faire une étude portant sur trois semestres, alors que les étudiantes arrivées à Grenoble pour la deuxième année de master ne sont suivies que sur le premier semestre de l'année 2006-2007. Les traductions des promotions précédentes (qui n'étaient pas, celles-là, exclusivement féminines) n'ont pas été prises en considération, car elles portaient sur d'autres textes, de sorte que des comparaisons avec les travaux d'étudiantes actuellement en cours de formation n'étaient pas assez pertinentes.
Chaque texte à traduire est accompagné d'un cahier des charges précisant :
- la fonction du texte du point de vue du donneur d'ouvrage, et
- le destinataire du texte en langue cible.
Dans cet article, nous emploierons le terme d'évaluation dans le sens d'examen attentif d'une traduction achevée afin d'aboutir à une notation chiffrée. Texte source et traduction (produit fini) sont comparés ligne à ligne afin de détecter d'éventuels oublis ou erreurs d'inattention, des fautes de français, des distorsions du sens de toute nature, y compris ajouts ou omissions non justifiés. Cette recherche des fautes s'effectue sans oublier l'intention de l'auteur du texte original, le destinataire du texte traduit avec ses attentes et son bagage encyclopédique, la situation de communication en langue d'arrivée et la fonction du texte cible, ni la cohésion du texte. Notre évaluation pourrait être désignée par le terme de révision didactique :
- toutes les fautes incontestables sont relevées et expliquées, le style de chaque étudiante est respecté (en cela, l'enseignant correcteur assume la fonction du réviseur),
- des suggestions d'amélioration stylistique, des propositions lexicales alternatives, d'autres possibilités d'organisation de l'information, etc. figurent également sur les travaux rendus aux étudiantes, car celles-ci doivent progresser sur tous les fronts, apprendre à diversifier leurs solutions de traduction et enrichir peu à peu la palette des moyens linguistiques dont elles sont coutumières. Il est aussi fréquent que nous posions des questions écrites aux étudiantes afin de les faire réfléchir au processus qui a pu les conduire à une faute, ou, lorsque nous pensons connaître l'origine d'une faute, pour qu'elles confirment ou infirment notre supposition. En cela, l'enseignant correcteur joue pleinement son rôle de pédagogue.
Nous avons décidé de ne pas utiliser la technique des protocoles verbaux, bien que nous ne contestions nullement leur intérêt (voir Dancette 2003). En effet, leur fiabilité nous semble aléatoire, les étudiantes n'étant pas en mesure de documenter toutes leurs idées, parfois si fugaces, et l'autocensure ne pouvant être exclue. On sait que l'essentiel de notre activité cérébrale échappe à la conscience (voir Fiori 2006), or les protocoles de verbalisation ne peuvent révéler, incomplètement, que ce qui arrive à la conscience. De plus, l'analyse de tels protocoles, très gourmande en temps, exige de notre point de vue une équipe pluridisciplinaire, dont nous ne disposons malheureusement pas.
En cinquième année, les étudiantes remplissent un questionnaire à propos de chaque texte, dans lequel elles font apparaître leurs difficultés pendant le travail de traduction, et aussi leurs réflexions après la correction en classe. Le cours est l'occasion d'un questionnement plus poussé qui permet de confronter les réponses orales à celles données dans le questionnaire, et, pour les étudiantes, d'aller plus loin dans la description et l'analyse de la stratégie adoptée pour surmonter chaque difficulté.
3. Présentation des groupes
Chaque année, nous nous retrouvons, en classe de traduction allemand–français, face à un petit groupe plus ou moins hétérogène. Nous désignerons, dans ce qui suit, les étudiantes observées par leur prénom suivi de M1 (quatrième année, soit année 1 du master) ou M2 (cinquième année, soit année 2 du master). Nous regroupons tout d'abord les principaux renseignements dans deux tableaux, qui donnent un aperçu des groupes actuellement en formation.
Nom |
3e année à |
Initiation |
Séjours dans |
Bilinguisme |
Catherine M1 |
- |
- |
Séjours fréquents |
Mère allemande, |
Florie M1 |
- |
- |
Stage de 2 mois |
- |
Julie M1 |
- |
X |
9 mois au pair après le lycée ; 1 an à Saarbrücken à l'Institut de traduction |
- |
Marie M1 |
X |
X |
1 mois au pair, divers séjours de 2 semaines |
- |
Tableau 1 : Portrait des étudiantes de quatrième année (2006-2007)
Dans ce groupe, une étudiante a eu un parcours différent de celui des autres.
Catherine M1 se destinait a priori à une carrière dans le commerce international. Après un baccalauréat scientifique, elle a fait trois ans d'études universitaires en langues, droit et économie et a commencé sa formation de traductrice sans avoir été initiée à la terminologie et à la recherche documentaire, comme Florie M1. Sa mère, allemande, a toujours parlé allemand à ses enfants. Après son décès alors que l'étudiante n'avait que 11 ans, la pratique familiale de l'allemand s'est arrêtée, sauf lors de voyages en Allemagne pour rendre visite à la famille du côté maternel. Au lycée et à l'université, les cours d'allemand n'intéressaient pas cette jeune femme, qui réussissait très bien sans effort, en s'appuyant sur ses acquis familiaux. De ce fait, elle arrive en M1 avec des lacunes regrettables en grammaire. En revanche, elle comprend très bien l'allemand, le parle couramment et dispose d'un riche vocabulaire.
Les autres étudiantes ont suivi un cursus à peu près classique. Seule Marie M1 a commencé sa formation en troisième année à Grenoble. Elle est la seule à avoir passé un baccalauréat littéraire et se distingue par une maîtrise très sûre de la langue cible.
Le tableau suivant résume les parcours des étudiantes de cinquième année (master 2).
Nom |
M1 en |
Troisième |
Séjours dans un pays |
Bilinguisme |
Karen M2 |
Grenoble |
X |
- |
X |
Marion M2 |
Paris |
- |
4 mois à l'université |
- |
Mary M2 |
Grenoble |
- |
Stages en entreprise de traduction : |
- |
Saby M2 |
Mulhouse |
- |
2 stages de |
- |
Sophie M2 |
Grenoble |
- |
1,5 an à Heidelberg |
- |
Tableau 2 : Portrait des étudiantes de cinquième année (2006-2007)
En début d'année 2006-2007, une étudiante (Marion M2) présente toute une série de handicaps :
- son niveau d'allemand actif est insuffisant ;
- sa première année de master dans une université parisienne a mis l'accent avant tout sur les outils de traitement informatique des langues naturelles et d'aide à la traduction. Les textes à traduire provenaient souvent de revues de vulgarisation scientifique telles que Spektrum der Wissenschaft. Ils traitaient de sujets spécialisés facilement abordables (vêtements des pompiers, protection des façades contre le développement de champignons, les fossiles, les corneilles, etc.), comportaient assez peu de termes spécialisés et s'adressaient à un public non averti. Bien entendu, leur traduction exigeait une recherche documentaire sérieuse, mais les informations nécessaires à la bonne compréhension du message et à l'identification des termes à employer en français étaient assimilées sans efforts particuliers ;
- elle ne maîtrise pas bien les méthodes de travail du traducteur professionnel, notamment la recherche documentaire, ni les vérifications qui 'sécurisent' la traduction.
Une autre étudiante (Karen M2) présente un profil particulier :
- Née d'une mère irlandaise et d'un père français, elle a grandi en Allemagne, où elle a fait une partie de sa scolarité.
- Très à l'aise dans les trois langues, elle manque de précision dans l'expression écrite et fait encore des fautes de français (impropriétés, collocations non idiomatiques).
Les autres étudiantes de cinquième année ont suivi un cursus que l'on peut considérer comme classique et ne bénéficient pas d'avantages ou ni ne souffrent de désavantages liés à leur histoire personnelle.
4. Objectifs pédagogiques et progression didactique
Les textes choisis répondent à des objectifs précis en quatrième et cinquième années.
4.1 Textes proposés aux étudiantes de quatrième année
Les deux semestres de la quatrième année diffèrent nettement par le contenu du cours de traduction.
Les textes traduits durant le premier semestre émanent d'organisations internationales (ex. : OIT, ONU, grandes ONG comme Care, Brot für die Welt, Caritas). Ils traitent de thèmes spécialisés largement médiatisés, sur lesquels les étudiantes ont nécessairement des connaissances et pour lesquels elles manifestent généralement de l'intérêt. Mais ces textes ne sont pas de nature journalistique et ne peuvent être traduits correctement sans recherche documentaire. Ainsi, un texte de la Gesellschaft für technische Zusammenarbeit, organisme dépendant du ministère des Affaires étrangères d'Allemagne, était consacré à une étude sur le rôle de l'eau dans le développement. Sa traduction nécessitait des recherches assez poussées sur les différents systèmes d'irrigation, traditionnels ou non, envisageables en Afrique subsaharienne. Un autre texte sur les mauvais traitements infligés aux enfants exigeait que l'on prenne conscience des différences entre les systèmes judiciaires français et allemands et que l'on vérifie qu'un délit ou crime existe bien dans le système juridique du ou des pays de langue cible.
-
Ces travaux doivent sensibiliser les étudiantes à la fonction du texte source et de sa traduction et mettre en place chez elles, de manière durable, les réflexes suivants :
- je ne traduis pas pour mon professeur ;
- je lis toujours le cahier des charges de chaque traduction et j'en tiens compte ;
- je traduis pour un destinataire qui a un certain bagage de connaissances, certaines attentes vis-à-vis de ce texte ;
- je suis au service du donneur d'ouvrage et dois donc savoir quelle sera, selon lui, la destination du texte ;
- je suis aussi au service du lecteur du texte traduit et dois rédiger le texte en langue cible d'une manière qui lui permette de comprendre le message et d'utiliser les informations, comme prévu par l'auteur ;
- je sais me procurer les compléments cognitifs nécessaires à la compréhension du texte ;
- je me demande systématiquement si le destinataire de la traduction est un francophone du même pays que moi ou s'il peut appartenir à une communauté francophone non française ;
- j'arrive à détecter les moments où une adaptation culturelle du message est souhaitable ;
- je sais trouver des textes parallèles rédigés en langue cible (à l'exclusion de traductions) et les utiliser pour trouver les termes adaptés et m'inspirer des tournures phraséologiques récurrentes ;
- je sais mettre en forme le résultat de ma recherche terminologique pour réutiliser les résultats de mon travail.
Au semestre suivant, les étudiantes abordent la traduction technique par le biais de textes de vulgarisation ou de textes didactiques. Le cursus de formation construit par E. Lavault-Olléon à Grenoble est en effet tourné vers le monde de l'entreprise et vers les besoins de la région, connue pour la place occupée par les hautes technologies. Nous pensons donc – et le devenir professionnel de nos diplômés confirme cette idée – que nos étudiants gagneront leur vie surtout grâce à la traduction technique. C'est avéré, en France, pour le couple de langues allemand – français.
Pour amener les étudiant(e)s à la traduction technique, nous devons tenir compte de leur évolution durant leur scolarité secondaire : souvent, ceux et celles qui choisissent de se consacrer à l'étude des langues n'ont pas aimé les matières scientifiques, que leurs résultats aient été ou non bons en mathématiques, physique, chimie ou biologie. Il y a ainsi souvent une appréhension devant les sujets techniques, une peur de ne pas comprendre, ou simplement un immense ennui. Pour lutter contre ces craintes et décomplexer les étudiantes, nous faisons, par le biais des cours de traduction spécialisée, une sorte de remise à niveau de connaissances élémentaires dont nous pensons qu'elles seront assimilées sans peine et qu'elles aideront plus tard les étudiantes à aborder des sujets plus complexes.
Nous choisissons entre autres des textes expliquant les bases de l'électricité et de la mécanique, puis des textes présentant des produits relativement simples et qui font référence à ces connaissances, par exemple dans des instructions de montage. Une notice d'installation de panneaux photovoltaïques est ainsi un texte adapté, puisqu'on y parle d'éléments d'assemblage, de la nature des matériaux employés, de branchements électriques, de puissance, etc., et qu'il s'agit d'un type de texte particulier, obéissant à des règles de rédaction précises. Souvent, durant le cours de traduction, nous donnons des explications de nature purement technique. De courts films viennent en soutien.
La difficulté principale à surmonter est le profond désintérêt que " la technique " inspire aux apprenantes. Il faut entendre les bougonnements sarcastiques suscités par l'annonce d'un texte sur des systèmes de fixation ! L'enseignant a néanmoins une carte maîtresse à jouer, à savoir sa propre expérience, des anecdotes, des explications, des conseils de visites, de documentaires, par exemple. Il est important que chaque étudiante vive diverses expériences positives et se convainque ainsi de sa propre aptitude à la traduction technique. Il peut s'agir d'une recherche documentaire bien menée la rendant capable d'expliquer quelque chose en cours, de la compréhension soudaine d'un processus ou de liens de cause à effet, ou d'autres choses encore. Généralement, les étudiantes finissent par se convaincre que la technique est fascinante, finalement très amusante, et pas aussi inaccessible qu'elles le pensaient au départ.
Les principales difficultés à ce stade tiennent à l'acquisition des connaissances extralinguistiques nécessaires à une bonne compréhension du texte technique. Si chacune a déjà entendu parler du sida, des droits des enfants, de la sécheresse, et dispose donc de connaissances qui se sont accumulées et organisées peu à peu, les étudiantes se sentent parfois bien démunies lorsqu'il s'agit de comprendre un texte qui évoque les forces physiques à l'œuvre dans un assemblage vissé, ou les raisons de la déformation d'un profilé d'aluminium.
Les objectifs pédagogiques de la quatrième année sont clairs et peuvent être atteints :
- mise en place des réflexes de travail du traducteur professionnel, comme exposé plus haut ;
- préparation, par l'acquisition de connaissances extralinguistiques et le développement de l'intérêt pour la technique, à la traduction de textes techniques rédigés par des experts pour des experts.
4.2 Textes traduits en cinquième année
En dernière année de formation, tous les textes relèvent de notre activité de traductrice : soit nous les avons traduits pour un client, soit nous connaissons très bien le domaine de spécialité auquel appartient le texte. Tous ces textes sont rédigés – pas toujours bien – par des experts pour des experts ou pour des utilisateurs très avertis. L'enseignante fait fonction de donneur d'ouvrage et de personne ressource pour les étudiantes. Les réflexes énumérés précédemment sont rappelés en début d'année et au fil des cours, et devraient être considérés comme acquis. En fait, nous devons constater que les étudiantes, qui tiennent bien compte du cahier des charges et de la situation de communication, ne sont pas encore à l'aise avec la recherche documentaire.
Après un démarrage en douceur avec le sujet de l'assurance qualité et de la certification, un texte très difficile et mal rédigé sert à préciser la méthode de travail en traduction technique. Puis des sujets divers sont abordés, représentatifs des besoins du marché de la traduction allemand – français : moteurs, processus industriels, machines-outils, rotatives de presse, entre autres. Une part importante du travail porte sur l'acquisition de connaissances extralinguistiques suffisantes pour comprendre et traduire. À cette fin, les étudiantes suivent en parallèle des cours de technologie et visitent des entreprises industrielles durant le premier semestre de la cinquième année.
5. Critères d'évaluation des travaux des étudiantes
Les traductions rendues pour correction sont évaluées selon une méthode que nous pourrions qualifier de 'révision adaptée à la situation d'enseignement'. L'objet de l'évaluation est le produit fini, c'est-à-dire la traduction rendue qui constitue un texte complet, placé dans une situation de communication préalablement exposée dans le cahier des charges.
Toutefois, comme la cinquième année doit préparer les futures traductrices à ce qui les attend sur le marché de la traduction, nous les plaçons parfois dans des situations non idéales. Par exemple, la traduction du premier texte sur l'assurance qualité n'était accompagnée d'aucun scénario ni cahier des charges, comme cela arrive fréquemment en dehors de l'université (le client demande une traduction sans préciser ce qu'il veut en faire). Notre souhait était qu'elles prennent l'initiative et demandent des éclaircissements, ce qui n'a pas été fait. Cela prouve qu'à ce stade, il faut encore leur apprendre qu'elles ne sont pas seules au monde devant leur texte, mais qu'il est naturel de s'adresser à une personne ressource, et que le donneur d'ouvrage est l'interlocuteur tout désigné.
Les critères de notation sont préalablement exposés et délibérément simples. Nous avons adopté quatre catégories (sens, faux sens, langue, maladresses) qui permettent de classer et de hiérarchiser les fautes. Bien entendu, les étudiantes savent exactement à quoi correspond chaque catégorie. Pour elles, les critères d'évaluation sont les " normes professionnelles connues " dont parle L. Brunette (Brunette 2002 : 223-233). Le fait que les différentes catégories de fautes soient clairement définies est perçu comme un gage d'objectivité, même si ni la traduction, ni la révision ou l'évaluation ne peuvent être parfaitement objectives. Il va sans dire que les passages bien réussis sont signalés aux étudiantes.
Nous définissons les quatre grands types de fautes comme suit :
- Sens : modification d'un segment de phrase / d'une partie du texte ne pouvant être réduite à une unité lexicale ou expression. Il s'agit généralement d'erreurs d'analyse syntaxique, de problèmes d'anaphore, ou encore de défauts de recherche documentaire amenant la construction d'un scénario aberrant en contexte, mais linguistiquement défendable. Dans la suite, nous parlerons de " faute de sens grave ".
- Faux sens : par ce terme, nous désignons toutes les modifications du sens réductibles à un mot ou une expression. Une omission ou un ajout non justifiés en font partie, comme les erreurs de temps qui ne sont pas perçues comme des fautes de langue, mais changent le sens.
- Les fautes de langue sont des écarts incontestables par rapport aux normes du français. Nous comptons dans cette catégorie, notamment les impropriétés, les fautes de ponctuation, de connecteurs, de temps, les erreurs de distribution...
- La dernière catégorie avoue son caractère subjectif. Nous y rangeons, par exemple, les collocations possibles mais peu usuelles, les répétitions que l'on remarque à la lecture du texte traduit, les ambiguïtés non intentionnelles et sans réelle gravité pour le lecteur, les tournures inutilement longues, les calques...
Bien entendu, ces catégories ne constituent qu'une base sur laquelle se construit la notation, nécessaire en cours de formation. Chaque travail corrigé comporte des commentaires très complets sur la nature des fautes, et des suggestions méthodologiques pour éviter ces dernières.
Même si les étudiantes font confiance à la notation pour s'évaluer et sont perpétuellement en attente de notes, l'attribution de points n'est évidemment pas ce qui nous intéresse le plus. Nous voulons aider les étudiantes à progresser plus vite et nous pensons qu'une meilleure prise de conscience de leur manière de travailler les y aide. C'est dans cette optique que se place notre étude. Pour nous, les erreurs et insuffisances relevées permettent de proposer un diagnostic (voir Gile 2001 : 379-393) et, mieux, d'amener l'étudiante à identifier elle-même ses faiblesses. En fin de formation, la compréhension de la langue source est le plus souvent excellente, de sorte que les erreurs ont généralement une autre origine qu'une compréhension linguistique insuffisante. Il devrait alors être possible d'améliorer les performances des étudiantes en affinant leurs méthodes de travail. Cette hypothèse une fois posée, penchons-nous sur l'évolution de quelques étudiantes.
6. Analyse des travaux de quelques étudiantes
6.1 Evolution durant la première année de master
Difficultés de l'analyse
Pour notre étude, il était souhaitable de disposer d'un maximum de traductions d'étudiantes. Or le règlement d'études prévoit le cadre du contrôle des connaissances, de sorte que certaines ont rendu uniquement les traductions qui devaient impérativement l'être, et certaines autres, voyant dans la possibilité de faire corriger leurs travaux une véritable aubaine, ont donné un assez grand nombre de textes. Nous avons retenu ici uniquement les textes rendus par toutes les étudiantes.
Par ailleurs, nous proposons aux étudiantes des textes complets, qui ne peuvent tous être de même longueur. Nous avons envisagé de considérer toujours les 500 premiers mots du texte source. Mais il nous semble préférable de ne pas cesser de considérer le texte complet comme la vraie unité de traduction. C'est pourquoi nous avons décidé d'utiliser une formule de conversion pour ramener le nombre de fautes à une longueur de 500 mots du texte source. Nous avons ensuite arrondi le nombre en admettant les décimales 0,25, 0,50, 0,75.
Nous retenons ici trois étudiantes qui ont suivi les cours de première année de master et ont été admises en cinquième année. Leur progression est figurée par les graphiques qui suivent. Les quatre devoirs considérés ont ponctué le premier semestre de l'année 2005-2006. Le second semestre étant consacré à la traduction technique – très nouvelle pour les étudiantes, qui doivent par ailleurs réaliser une traduction longue commanditée et rédiger sur cette base un mémoire de traduction – le contrôle continu est allégé. Les deux derniers devoirs ont été faits en temps limité, le dernier sur ordinateur avec accès à Internet et à tous documents, le troisième dans des conditions plus traditionnelles, mais avec dictionnaires.
L'étudiante Mary M1 était absente à l'examen de fin de semestre.
La série 1 (en bleu foncé) correspond aux fautes de sens graves, la 2 (couleur fuchsia) aux faux sens, la 3 (marron) aux fautes de langue et la série 4 (bleu turquoise) aux maladresses. L'absence de ligne bleue sombre reflète l'absence totale d'erreurs de sens graves.
Sophie est la meilleure étudiante, et Karen constitue un cas particulier en raison de son trilinguisme familial, de son cursus scolaire dans deux pays et d'interférences entre ses langues.
Chez les trois étudiantes, la situation d'examen suscite une recrudescence des fautes, due à des problèmes de gestion du temps (chez Sophie notamment) et à l'impossibilité de prendre du recul par rapport à sa traduction. L'absence totale de fautes de sens graves chez Sophie confirme le très bon niveau de compréhension de la langue source. Chez Karen, les fautes de sens graves sont des étourderies qu'une relecture attentive aurait dû faire disparaître. Chez Mary, ces fautes correspondent exactement à notre définition (erreurs d'analyse).
Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a une amélioration incontestable de la qualité rédactionnelle chez Karen. Les fautes de langue sont moins nombreuses, de même que les maladresses de toutes sortes. Cette étudiante améliore la correction et la fluidité de la langue cible par une méthode de travail et notamment de relecture (auto-révision) plus rigoureuse. Même en situation d'examen, elle produit une performance supérieure à celle du début de semestre.
La fréquence des faux sens reste assez préoccupante. Elle s'explique par une mauvaise utilisation des dictionnaires et autres ressources : la consultation d'un dictionnaire ou encyclopédie unilingue demandant un certain temps, même lorsqu'ils sont disponibles en ligne, les étudiantes ne lisent que le début de l'article consacré au mot recherché, et ne peuvent constater que l'acception pertinente n'est pas la première, mais, par exemple, la quatrième. Il arrive aussi qu'elles se tournent vers les dictionnaires bilingues et acceptent, non sans réfléchir, mais sans réfléchir suffisamment, l'équivalent lexical qui leur plaît le plus, et l'insèrent dans leur texte sans vérifier qu'il est bien celui qui convient dans le contexte. L'origine est donc un défaut de méthode, théoriquement facile à corriger. En tout cas, les trois graphiques montrent qu'à ce stade, les méthodes de travail ne sont pas acquises.
Interrogées sur l'origine de leurs fautes, les étudiantes montrent que les bonnes habitudes ne sont pas prises. Plusieurs attitudes se dégagent, en fonction de la personnalité de chacune, et aussi selon l'humeur et la charge de travail du moment. Nous les présentons ci-dessous.
- Seules face à leur travail, certaines trouvent la recherche documentaire fastidieuse, et ne jugent pas son résultat fondamentalement de meilleure qualité que ce que propose le dictionnaire bilingue. Le fait d'avoir une compréhension superficielle du texte ne leur semble pas gênant. Les textes relativement généraux encouragent cette attitude, car une telle stratégie du moindre effort permet tout de même d'arriver à une traduction de qualité correcte, à condition de bien comprendre la langue source et d'avoir quelques connaissances, même vagues, sur le sujet abordé dans le texte.
- Si elles se lancent dans une recherche sérieuse, elles ne savent pas reconnaître le moment où elles ont accumulé assez d'informations et de documents. Elles ont tendance à se perdre dans leur recherche, omettent de faire des fiches terminologiques pour les termes les plus difficiles pour elles, ou, pour dire les choses plus simplement, de mettre de l'ordre dans les renseignements obtenus. Elles finissent par se noyer dans ce qui est devenu un fatras d'informations (dont elles oublient de noter la source), et par choisir leurs termes en langue cible non en privilégiant le meilleur niveau de pertinence, mais en fonction de ce qu'elles arrivent encore à retrouver dans leur fouillis. En bref, les méthodes de travail enseignées en cours de terminologie et appliquées consciencieusement par les étudiantes dans le cadre de ce cours ne sont pas encore considérées comme utiles pour la traduction.
- Une méthode intermédiaire réunit bonne volonté et découragement : la recherche documentaire est entreprise, mais trop vite abandonnée ; l'utilisation des dictionnaires est superficielle. Des recherches documentaires incomplètes, lorsqu'elles sont motivées par la compréhension d'un terme, entraînent parfois l'étudiante vers une interprétation totalement erronée. C'est le cas notamment si le terme en question est mal employé dans le texte source, ou si les documents trouvés font apparaître ce terme dans un contexte différent, et que l'étudiante ne comprend pas que l'équivalent lexical trouvé ne s'emploie pas dans le domaine abordé par le texte à traduire.
Pourtant, ces constatations n'ont rien de décourageant pour l'enseignante. Puisque l'origine première des erreurs graves est de nature méthodologique, il y a lieu de penser que l'application de méthodes appropriées va améliorer sensiblement la qualité des travaux. C'est ce que nous voulons vérifier en regardant de près les travaux de ces trois futures traductrices en deuxième année de master.
Observations durant la deuxième année de master
Nous avons procédé comme au cours de la quatrième année. Les traductions ont été évaluées comme des produits finis. Pour faire avancer la réflexion des étudiantes sur leur propre mode opératoire, nous les avons priées de remplir un questionnaire à propos de chaque texte, que ce dernier soit corrigé par nos soins ou non. Nous avons joint aux textes corrigés une feuille de commentaires et d'explications de nos critiques et corrections.
Bien entendu, les textes sont beaucoup plus complexes. La difficulté tient essentiellement à trois facteurs :
- Les textes sont écrits pour des experts : l'auteur considère que le destinataire dispose d'un bagage de connaissances comparable au sien. L'écart entre les connaissances des futures traductrices et celles du destinataire est donc très important. Les difficultés de compréhension liées au sujet du texte sont majeures, et la recherche documentaire indispensable. De ce fait, les stratégies d'évitement de la recherche documentaire sont vite abandonnées par les étudiantes, qui acceptent d'y consacrer le temps nécessaire et sont conscientes que les connaissances acquises seront utiles pour des travaux ultérieurs.
- Les textes sont écrits par des spécialistes d'un domaine technique ou scientifique, et non par des experts de l'expression écrite. En d'autres termes, ces textes sont souvent mal rédigés, mal structurés, contiennent des erreurs diverses ; il importe que les futures traductrices réussissent à détecter les failles de ces textes pour produire une traduction qui mette à l'honneur le message de l'auteur et aide le lecteur en langue cible à s'approprier l'information du texte.
- Les auteurs emploient parfois une terminologie exotique, propre à une société ou à un groupe de travail, introuvable dans des ouvrages de référence sérieux.
Nous avons fait figurer dans trois graphiques les fautes relevées dans les traductions des trois étudiantes Mary, Sophie et Karen, déjà suivies en première année de master. La courbe bleu foncé correspond aux fautes de sens graves, la rose fuchsia aux faux sens, la marron aux erreurs de français et la bleu turquoise aux maladresses. Quand l'une de ces courbes manque, le type d'erreur correspondant est absent des devoirs corrigés.
Penchons-nous maintenant sur ces résultats et tentons d'identifier l'origine des fautes en examinant de plus près les deux premiers textes corrigés.
Texte sur l'assurance qualité
Le premier texte, le plus simple, n'a pas été très bien réussi. On retrouve dans les travaux des étudiantes soit le peu d'enthousiasme manifesté l'année précédente pour la recherche documentaire, soit la difficulté à savoir quand cette recherche est suffisante. En l'occurrence, bien que l'on trouve une foule de documents très bien faits sur l'assurance qualité et la certification dans la presse spécialisée (disponible en bibliothèque sur le campus) et bien entendu sur l'Internet, les étudiantes n'ont pas été assez loin dans la recherche. Cela est d'autant plus regrettable que le domaine de l'AQ est facile à comprendre, bien plus facile en tout cas que ceux qui ont été abordés par la suite. Le fait que la terminologie de l'assurance qualité comporte bon nombre de mots qui semblent appartenir à la vie courante y est sans doute pour quelque chose. Ainsi, Beurteilung (des Qualitätssicherungssystems) doit être traduit dans ce contexte par 'évaluation', tout simplement parce que c'est le terme consacré. Elles ont toutes trois fait preuve d'un manque de rigueur qui les a fortement pénalisées. Les difficultés de traduction réelles, c'est-à-dire celles qui tenaient à la rédaction des phrases longues et complexes, riches en termes abstraits, ont donné lieu à quelques rares fautes plus ou moins prévisibles. Une phrase notamment, très dense, ne pouvait être scindée en plusieurs phrases que si une recherche documentaire poussée avait été effectuée en amont. Dans ses réponses au questionnaire, Sophie M2 indique par trois fois un manque de recherche comme origine de ses erreurs, comme celle de ses camarades qui a rendu le plus mauvais travail, Marion M2, dont nous parlerons plus bas ; Karen M2 évoque ce défaut deux fois.
De nombreuses erreurs sont dues à des étourderies, et donc à un autre défaut de méthode : un manque de concentration à la relecture, que toutes ont pourtant effectuée en plusieurs phases (après la fin de la traduction, en comparant les deux textes ligne à ligne, puis relecture du texte français seul).
Les difficultés de compréhension de l'allemand sont responsables de 10 % environ des fautes modifiant le sens, faux sens compris. Les écarts par rapport aux règles du français s'expliquent par des défauts de méthode (utilisation insuffisante des dictionnaires de langue et d'ouvrages de référence comme le Grevisse). Certains défauts de langue sont toutefois dus à un manque de sensibilisation à certains points de syntaxe française. Ainsi, les étudiantes arrivent en master sans avoir été rendues attentives à la question de la reprise anaphorique. Le défaut de méthode explique aussi une bonne moitié des maladresses : absence de vérification de collocations dans le contexte considéré, démission, à la relecture de la traduction, face à des phrases trop longues, à la syntaxe calquée sur l'allemand.
Ainsi, nos trois étudiantes avouent des défauts de recherche documentaire. Certains mots courants leur ont causé des difficultés parce qu'elles n'ont pas compris qu'ils étaient des termes dans le contexte de l'assurance qualité et n'avaient pas la signification (et donc la traduction) habituelle (par exemple Freigabe, Feld).
Les résultats de ce premier travail ont beaucoup déçu les étudiantes. Depuis la traduction du texte technique extrêmement difficile évoqué plus haut, la méthode de travail et notamment la recherche documentaire est acceptée et effectuée avec sérieux.
Le second texte corrigé et noté était un "contrat de vente de fours de traitement thermique". Le texte était à la fois technique et juridique.
Voici quelques fautes intéressantes qui y ont été relevées :
Deux étudiantes ont fait des fautes de logique dans la traduction de la même phrase (Eine Abnahme im juristischen Sinne erfolgt erst durch die Endabnahme = 'Au sens juridique, seule vaut la réception finale').
Mary M2 : Au sens juridique, une réception ne commence qu'au moment de la réception finale.
Saby M2 : Au sens juridique, une réception n'a lieu que lors de la réception définitive.
Dans le contrat étaient prévues des réceptions intermédiaires portant sur des parties des installations à fournir. Les étudiantes n'ont pas compris ce qui se passe dans la réalité lors de l'achat de biens d'investissement, et leur erreur s'explique avant tout par une méconnaissance des us et coutumes dans les entreprises industrielles. Il faut reconnaître à leur décharge qu'il est difficile de se documenter sur certains points particuliers. Mais elles auraient dû se demander à quoi servait cette phrase et la relier aux réceptions partielles dont il avait été question précédemment. Si le doute persistait, ce qui est acceptable lorsqu'on n'a pas encore suffisamment d'expérience, elles auraient dû questionner l'enseignante, qui joue le rôle, comme nous l'avons dit, de personne ressource et de donneur d'ouvrage.
Visiblement – et le dialogue avec les étudiantes a confirmé cette explication – les futures traductrices ne parviennent pas encore à détecter les insuffisances de leur propre compréhension du sujet. Elles n'arrivent pas à concevoir que les choses se passent différemment de ce qu'elles imaginent, même si le scénario élaboré est incontestablement bancal.
La méconnaissance du monde de l'industrie a été à l'origine d'autres erreurs, que nous n'exposerons pas en détail ici. Chez notre étudiante issue d'une famille trilingue, l'un des faux sens était dû à un manque de sûreté dans le maniement du français. Abnahmemerkmale a été traduit par normes de réception. Or une norme, dans le monde de l'industrie, est un type de document bien particulier. Dans ce cas, la signification de norme en français était mal connue. L'étudiante a ainsi pensé que les exigences formulées dans le cahier des charges étaient des normes (puisqu'il fallait les respecter).
Toutes les étudiantes ont mentionné dans leurs questionnaires une méconnaissance du monde de l'industrie. La rédaction du texte source leur a aussi donné du fil à retordre en raison de la longueur des phrases, de tournures verbales complexes, mais elles se sont généralement bien sorties de ces difficultés, ce qui prouve une fois encore que la compréhension de la langue source n'est pas le problème principal.
Si on tente de résumer nos observations et les déclarations des étudiantes, on constate que l'on tourne toujours autour du même sujet : la nécessité de se renseigner et d'analyser le texte à traduire à la lumière des informations recueillies. Mais on voit aussi apparaître des difficultés nouvelles : Comment sentir que l'on se trompe, même après une bonne recherche documentaire ? Comment rester attentive pendant la relecture, si fastidieuse ?
C'est l'étudiante Marion M2, arrivée en cinquième année dans notre formation, qui a fait les progrès les plus rapides. Si le premier texte de deux pages traduit a été un vrai désastre avec treize faux sens, elle est arrivée en fin de semestre à produire des traductions de bonne facture (trois faux sens dans la dernière traduction).
Sophie M2 a été victime de ses problèmes de gestion du temps pendant le dernier travail, fait en temps limité. Les deux premiers tiers du texte étaient excellents, puis les fautes se sont accumulées dans la dernière page.
Bien entendu, nous pourrions commenter encore les fautes relevées dans les travaux des étudiantes. Mais cela serait sans doute fastidieux. Les graphiques donnent, à notre sens, suffisamment de renseignements. Nous tirons un bilan provisoire de cette expérience.
Conclusion
Les étudiantes apprécient beaucoup les corrections détaillées accompagnées de commentaires et suggestions de méthode, qu'elles jugent très utiles. Elles plébiscitent aussi le niveau d'exigence élevé, notamment le niveau de difficulté des textes. Les cours de technologie, les visites d'usines leur sont très utiles.
En revanche, elles ne sont pas conscientes de leurs défauts de méthode et expliquent le plus souvent leurs erreurs par un manque de connaissances extralinguistiques.
Pour nous, les résultats de nos observations sont clairs : ce sont les insuffisances méthodologiques qui sont à l'origine de la plupart des erreurs. La question est alors : comment amener les étudiants à une amélioration plus rapide de leurs méthodes de travail ?
En quatrième année, des travaux dirigés présentés aux étudiants comme des exercices de traduction, mais utilisés par l'enseignant pour vérifier les méthodes de travail des étudiants, peuvent être utiles. Pour les travaux corrigés, des commentaires détaillés et abondants sont efficaces lorsqu'ils prouvent que la faute était évitable, et ils montrent comment. La correction des travaux devrait avoir lieu en classe, afin que les étudiantes qui ne comprennent pas pourquoi ce qu'elles ont écrit est critiquable puissent poser les questions nécessaires à l'enseignant, qui doit évidemment être en mesure de justifier chacune de ses critiques. Mais surtout, il faut questionner et questionner encore les apprenants afin de :
- les amener à se poser eux-mêmes les questions utiles ;
- leur montrer, encore et encore, leurs faiblesses, et les moyens de les pallier.
De notre point de vue, la difficulté des textes aide à faire disparaître les défauts de méthode mis en évidence en quatrième année. Les recherches effectuées par nos étudiantes de cinquième année sont désormais beaucoup plus solides, et nous constatons pendant les cours que l'époque du fouillis et du désordre est révolue. Elles savent tirer le maximum de leur recherche documentaire. Elles ont aussi parfaitement intégré à leur réflexion l'idée que le texte de départ est souvent imparfait (Gile 2005 : 170) et qu'il leur incombe de détecter ses éventuels défauts par une lecture critique (Gile 1995 : 4-14). A partir du texte numéro 2, elles ont questionné le donneur d'ouvrage en allemand, en formulant leurs questions avec une très grande précision.
Toutefois, le questionnement des futures traductrices durant le cours nous réserve régulièrement des déceptions : souvent, malgré un effort de mémoire, les étudiantes sont incapables d'expliquer ce qui les a conduites à faire telle ou telle faute. Elles regardent leur copie et ne comprennent absolument pas comment elles ont pu ne pas saisir le sens de tel ou tel passage, ne pas voir telle ou telle erreur au moment de la relecture, etc. Nous proposons alors plusieurs scénarios qui nous semblent plausibles, dans l'espoir de raviver un souvenir ou de susciter une association d'idées qui leur permettra de reconstituer leur cheminement. Parfois, l'étudiante réagit bien et confirme un scénario ; il arrive aussi qu'elle le nuance, mais il se produit aussi, et c'est assez fréquent, que l'étudiante reste incapable d'expliquer comment elle est arrivée à une solution fausse. Il n'y a pas lieu de s'étonner de cette incapacité à reconstituer le cheminement intellectuel à l'origine d'une erreur : l'essentiel de nos processus mentaux échappe à notre conscience et donc à notre analyse. C'est pourquoi il nous semble important de ne pas oublier que la traduction est une pratique, qui nécessite un entraînement régulier.
L'étude menée avec les étudiantes met en avant les déficiences méthodologiques comme première source d'erreurs en fin de formation. C'est pourquoi nous pensons que la discussion des fautes en cours et le questionnement répété des étudiant(e)s peut les aider à mieux s'observer eux/elles-mêmes afin qu'ils/elles remarquent leurs propres négligences méthodologiques. Il est en tout cas certain, de notre point de vue, qu'il y a là un moyen de les faire progresser.
Bibliographie
- Allignol, Claire (2007). " L'évaluation dans la formation des traducteurs spécialisés. " Elisabeth Lavault-Olléon (dir.) Traduction spécialisée : pratiques, théories, formations, Berne : Peter Lang, 237-265.
- Brunette, Louise (2002). " Normes et censure : ne pas confondre. " TTR, Volume 15 (2), 223-233.
- Dancette, Jeanne (2003). " Le protocole de verbalisation, un outil d'auto formation en traduction. ". Geneviève Mareschal, Louise Brunette, Zélie Guével, Egan Valentine (dirs) La formation à la traduction professionnelle. Ottawa : Presses de l'Université d'Ottawa, 66-79.
- Fiori, Nicole (2006). Les neurosciences cognitives Paris : Armand Colin.
- Gile, Daniel (1995). " La lecture critique en traductologie. " Meta 40 (1), 4-14.
- Gile, Daniel (2001). " L'évaluation de la qualité de l'interprétation en cours de formation. " Meta 46 (2), 379-393.
- Gile, Daniel (2005). La traduction, la comprendre, l'apprendre, Paris : PUF, Linguistique nouvelle, 170.
Biographie
Claire Allignol a étudié le russe avant de commencer sa formation de traductrice et interprète à l'IÜD, l'institut de traduction et d'interprétation de l'université de Heidelberg (Allemagne), achevée en 1979. Elle est titulaire d'un doctorat de linguistique appliquée allemande / traductologie et Maître de conférences à l'université de Grenoble depuis 2002. Elle enseigne la traduction technique, l'interprétation de liaison et la terminologie et participe aux travaux du Groupe de recherche multilingue en traduction spécialisée (GREMUTS) de l'université de Grenoble.
Note 1:
Nous optons dans la suite pour le féminin, car les élèves observées ici sont toutes de jeunes femmes. Pour parler des enseignantes et des enseignants, des donneurs d'ouvrage, etc. nous employons le masculin générique par commodité.
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