Introduction
Louise Brunette, Université du Québec en Outaouais
Depuis le début des années 2000, on observe un intérêt marqué pour la pratique de la révision des traductions. Nous en voulons pour preuve la publication en 2001 du manuel de révision de Brian Mossop et la part faite à la révision dans le numéro spécial (2000) de The Translator sur l'évaluation des traductions. Depuis, quelques communications ou articles éclairants sur le sujet ont fait avancer la discipline de la révision. Mais on réserve toujours à cette dernière la portion congrue, par rapport, par exemple, aux questions interculturelles en traduction, aux effets des technologies sur les pratiques ou à la formation des traducteurs. Réunir des auteurs pour traiter de révision tient de l'exploit. C'est pourquoi nous sommes particulièrement heureuses d'avoir rassemblé des articles qui constituent un panorama des recherches sur le sujet. La présentation de ces descriptions et réflexions révèle tant la richesse du domaine que la qualité de ceux qui y travaillent.
Brian Mossop décrit toutes les études fondées sur des observations qui se sont déroulées ces dernières années. En fait, il s'est arrêté essentiellement aux études dont les résultats sont parus en anglais et en allemand. Si les recherches menées à ce jour dans notre domaine intéressent au premier chef la révision, la description de leurs méthodologies devrait inspirer les chercheurs en traduction.
Praticien et théoricien de la révision, Brian Mossop dresse la carte des études empiriques faites sur deux continents. Après avoir décrit les objectifs de chacune, il en expose la méthode tout en en dégageant les lacunes, auxquelles il a des solutions à proposer. L'article combine en quelque sorte une bibliographie largement commentée et une critique constructive des méthodes des expériences menées et de leurs résultats. Il s'agit, en fait, d'une réflexion sur les enjeux de la révision comme pratique et comme objet d'étude.
Après un gros plan sur le nouveau paysage de la traduction à l'OCDE, René Prioux et Michel Rochard livrent les stratégies mises en place par leurs soins pour favoriser la pratique rationnelle de la révision. Le modèle décrit se fonde sur l'adoption de critères de qualité, sur un mode de classement des textes par ordre d'importance et sur l'évaluation des risques. On consultera avec profit les divers tableaux résumant les conclusions des auteurs. Comme la grande majorité des modèles proposés en révision, celui de Rochard et Prioux tend vers l'objectivité maximale. Taillée sur mesure pour l'OCDE, la recherche s'adaptera facilement à d'autres grands services, en particulier en raison de son universalité et de sa logique.
Quant à Alexander Künzli, il jette sur les réviseurs un regard tout à fait original en scrutant le dilemme éthique inhérent à leur métier : vers qui la loyauté de la personne qui révise une traduction doit-elle aller? Pour tenter d'y voir clair, le chercheur a eu recours aux protocoles de verbalisation, qui lui ont effectivement révélé les valeurs conflictuelles qui se disputent l'adhésion du réviseur. Sont en cause, par exemple, la fidélité à soi-même, le respect du révisé et la loyauté envers le donneur d'ouvrage. Kunzli met en lumière les stratégies des réviseurs tentant d'échapper à l'inconfort relié à l'obligation de choisir.
Dans la perspective de la gestion des risques et des ressources, Timothy Martin représente le point de vue de l'administrateur soucieux de rationaliser les opérations assurant la qualité du produit à livrer. Dans cet esprit, la révision est envisagée à travers le prisme du qualitatif et de l'économique. S'appuyant sur le principe de « suitability for purpose », à ses yeux l'objectif de toute révision, et saluant les prescriptions de la norme EN 15038, l'auteur propose le recours sélectif à la révision. Sa réflexion lui fait également conclure qu'il faut se garder de confondre révision et assurance de la qualité, mais plutôt considérer la révision comme un des éléments de ce dernier processus.
Le travail de Claire Allignol intéressera tout particulièrement les enseignants. En assimilant révision pédagogique et correction des traductions scolaires, l'auteure met l'accent sur le rôle de réviseur de l'enseignant de traduction compétent. On trouvera mises en lumière dans cet article toutes les attitudes et les qualités de la réviseure professionnelle, tant dans l'opération d'évaluation de la traduction que dans ses rapports plus ou moins personnels avec le révisé. En fait, l'enseignante fait ici figure de réviseure tant en amont qu'en aval de la traduction. L'expérience de correction relatée inspirera aussi les réviseurs en exercice qui ont peut-être oublié que s'il est important de déceler les erreurs et de les corriger, il faut comprendre leur origine pour aider les révisés à ne plus les commettre.
Patrizia Pierini, enfin, dans un article moins exclusivement ciblé sur la révision, ouvre la discussion sur la question des rapports entre localisation et traduction, mettant l'accent sur les problèmes de qualité dans les pages web de tourisme en anglais et en italien. Les auteurs précédents nous ont conduits à considérer traducteurs et traductrices en formation d'une part, ou de haut niveau de l'autre, mais Patrizia Pierini, nous confronte à la réalité d'un type de traduction encore souvent opéré par des médiateurs non professionnels et peu expérimentés.
L'ensemble de ces articles nous conforte dans la conviction que toute étude sur la révision doit être menée dans le milieu et en collaboration avec le milieu, sinon par les praticiens eux-mêmes. Malheureusement, de telles recherches coûtent cher en temps et en énergie. Par exemple, agences et cabinets refusent souvent de s'y engager ou d'y participer en raison de la perte de productivité qui découlerait de l'expérience. Par ailleurs, les chercheurs ne peuvent s'en remettre qu'à des sujets qui ne seraient pas vraiment des professionnels. Il faudra insister auprès des organismes subventionnaires aux yeux desquels la révision reste suspecte, du moins en Amérique du Nord, à cause de son caractère éminemment pratique. En faisant une place à la révision, JoSTtrans a démontré que la question compte aux yeux des praticiens et des chercheurs : pour ces deux groupes, la révision est une assurance de qualité à divers égards.
Biographie
En 1995, Louise Brunette a opté pour l'enseignement et la recherche après une carrière longue et diversifiée dans les domaines suivants : traduction, terminologie, révision et gestion de services de traduction.
Elle enseigne aujourd'hui à l'Université du Québec en Outaouais et est associée au Centre de recherche en technologies langagières.