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L’évaluation en didactique de la traduction : un état des lieux

Didactic assessment in translation: a comprehensive update

Philippe Gardy, Université Laval in Québec

ABSTRACT

Though didactic assessment constitutes a prominent concern for students, little has been said in Translation Studies literature about it. For instance, this area has not been studied in French-speaking Canada, whether among teachers or students. The objective of this article is to present an up-to-date snapshot of didactic assessment in translation, in a context that has been deeply modified over the last decades due to the now massive presence of technology. The data consist of 389 responses by teachers and students from eight Canadian universities, either through semi-directive interviews or an online questionnaire.
According to the findings of the study, the assessment methods currently used have not significantly evolved over the last decades, despite the considerable changes the profession has undergone. These methods are used in an almost monolithic way, independent of the progress of students in their course of study. Since assessment is considered an integral part of the teaching and learning processes, any attempt to rethink the didactic assessment methodology cannot be done without a concomitant reflection on teaching approaches.

KEYWORDS 

Assessment, summative assessment, formative assessment, translator training, stress.

RÉSUMÉ

L’évaluation didactique, bien qu’elle constitue une préoccupation majeure des étudiants, est presque absente des débats dans l’enseignement de la traduction. Ainsi, aucune étude sur le sujet n’a été menée au Canada, que ce soit auprès des enseignants ou des étudiants.
L’objectif de cet article est d’obtenir un instantané de la situation de l’évaluation en didactique de la traduction au Canada, dans un contexte d’enseignement qui a été bouleversé ces dernières décennies par la généralisation des outils technologiques. Pour ce faire, des données ont été recueillies auprès de 389 enseignants et étudiants issus de huit universités, soit lors d’entretiens semi-dirigés, soit par l’intermédiaire d’un questionnaire en ligne.
Il ressort de cette étude que les approches et modalités d’évaluation actuellement en vigueur au Canada sont sensiblement identiques à celles qui prévalaient au siècle dernier, en dépit des bouleversements qu’a connus la profession de traducteur. Elles sont également caractérisées par un certain monolithisme, puisqu’un débutant sera évalué grosso modo de la même façon qu’un finissant. L’évaluation faisant partie intégrante des processus d’enseignement et d’apprentissage, toute tentative de refonte des modalités d’évaluation ne pourra donc se faire indépendamment d’une réflexion menée sur les approches pédagogiques.

MOTS-CLÉS

Évaluation, évaluation sommative, évaluation formative, enseignement de la traduction, stress.

1. Introduction

L’évaluation est aujourd’hui plus que jamais présente dans le champ social. Comme le soulignent Gérard Figari et Lucie Mottier Lopez (2006 : 11), « elle prépare, accompagne et clôt la plupart des activités des organisations publiques comme privées, scolaires comme professionnelles. » Cependant, si le sujet de l’évaluation de la qualité des traductions dans un contexte professionnel a été abordé par plusieurs auteurs (Delisle, 2001; Gouadec, 1981; House, 2001; Larose, 1998), rares sont en revanche les chercheurs qui se sont intéressés aux procédures d’évaluation des travaux des étudiants. Ainsi, Nicole Martínez Melis (2001 : 101-102) et Isabelle Collombat (2009 : 38) relèvent qu’il n’existe encore que relativement peu de travaux dans ce domaine et que chaque école de traduction, voire chaque enseignant, adopte son propre système d’évaluation. Quant aux pratiques évaluatives des enseignants en traduction, elles n’ont été examinées que par Christopher Waddington dans une étude menée en 1999.

Dans un monde de la traduction profondément bouleversé ces dernières années par le recours massif aux technologies langagières, notre objectif est de présenter les résultats d’une étude menée au Canada auprès d’enseignants et – pour la première fois – d’étudiants dans le but de dresser un état des lieux des pratiques d’évaluation en didactique de la traduction et de les comparer à celles en vigueur au XXe siècle.

2. L’évaluation en didactique de la traduction : l’état de la recherche

Il ressort de la revue des travaux portants sur l’évaluation en didactique de la traduction menée par Philippe Gardy (2015) que quatre éléments ont tout particulièrement retenu l’attention des traductologues : la méthodologie d’évaluation des travaux des étudiants, l’importance des critères, le statut de l’erreur et la question de l’objectivité.

2.1. La méthodologie d’évaluation

La méthodologie d’évaluation des travaux apparaît sans conteste comme l’aspect le plus commenté par les traductologues, que ce soit parfois pour en présenter un exemple, mais le plus souvent pour faire la critique de méthodologies existantes ou déplorer l’absence d’avancées dans ce domaine. L’un des aspects les plus controversés concerne le recours à ce que Jean-Paul Vinay appelle la « trilogie NS/CS/FS1 » (1996 : 150), qui selon lui n’est pas suffisamment claire et ne permet pas à l’apprenant d’éviter de répéter ses erreurs. Cette trilogie est aussi remise en cause par Gouadec, qui n’y voit qu’un « système absolu hérité des notations de versions et thèmes d’apprentissage linguistique » (1989 : 35) datant du XVIIe siècle et inadapté au contexte de l’enseignement de la traduction.

Même si, selon Vinay, le recours à des codes de correction permet de « donner à l’étudiant l’occasion de comprendre sa faute » (1996 : 151), plusieurs critiques ont été émises envers cette méthode. Gouadec (1998 : 131) y voit ainsi le règne du flou et de la subjectivité et reproche à ce système de ne pas expliquer « le mécanisme des erreurs/fautes/déficits de traduction ou l’incidence réelle de tous ces écarts. » Dorothy Kelly (2005 : 132) ajoute que les critères de notation sont souvent opaques et rarement appliqués de façon homogène. Par ailleurs, selon elle, cette approche ne s’intéresse qu’au produit fini et non aux processus mis en œuvre.

2.2. L’importance des critères

Comme le souligne Jean-Claude Gémar (1996 : 501), « Comment peut-on juger le plus objectivement possible le travail d’une personne si l’on ne s’appuie pas sur un certain nombre de critères reconnus? » Amparo Bowker
Hurtado Albir (2008 : 50) cite également la définition des critères comme un des éléments essentiels de l’évaluation. Lyne Bowker (2000 : 183) dénonce quant à elle la sous-estimation de l’importance accordée aux critères : 

There is a lack of universally applicable criteria according to which translations may be assessed. Because the evaluation of translations can be carried out for many distinct reasons, different criteria and factors take on varying degrees of importance, and […] the majority of the literature deals with the issue in an anecdotal and largely subjective manner.

Cependant, le sujet de la gestion des critères en enseignement de la traduction n’a été que rarement abordé dans ses aspects concrets. Ainsi, si Kelly (2005 : 132) insiste sur l’importance du soin à apporter à la définition des critères — « [It] requires much thought to be put in assessment criteria and methods at the design stage of the curricular and syllabus planning»—, elle reste cependant très évasive quant à leur nature et à leur définition.

2.3. Le statut de l’erreur

Dès 1997, Jean-Pierre Astolfi lançait son fameux « Vos erreurs m’intéressent ! » (1997 : 15) et la distinction entre la faute et l’erreur constitue une des pierres angulaires des modèles constructivistes. Cependant, cette différenciation n’est pas encore entrée dans les mœurs dans l’enseignement de la traduction, où seule Collombat (2009 : 47) s’en est fait l’écho : « Depuis les années 1990, les didacticiens et pédagogues s’attachent à dissiper la confusion entre faute et erreur et à faire valoir les vertus de cette dernière en tant qu’outil pédagogique. » Ainsi, la notion de faute, profondément ancrée dans la culture de l’évaluation sommative, est encore très prégnante dans l’enseignement de la traduction et notamment dans les manuels didactiques. Le terme « faute » apparaît par exemple 47 fois dans le glossaire de la troisième édition de La traduction raisonnée (2013), le manuel le plus utilisé au Canada dans l’enseignement de la traduction. À cette notion — à connotation fortement péjorative — qui est au centre de notre perception de l’apprentissage de la traduction, Collombat (2009) suggère de préférer celle d’erreur, sur la base des travaux d’Astolfi (1997) et de Fayol (1995), de manière à permettre à l’étudiant de s’extraire de la gangue sommative qui peut le conditionner, voire le paralyser dans son approche de la traduction, par peur de mal faire. Pour Collombat (2009 : 45), il existe une distinction fondamentale entre la faute et l’erreur :

La faute, qui peut être due à un élément contingent (négligence passagère, distraction, fatigue, etc.), est considérée comme relevant de la responsabilité de l’apprenant, qui aurait dû l’éviter. L’enseignant l’évalue a posteriori pour la sanctionner.
L’erreur, quant à elle, revêt un caractère systématique et récurrent : elle est un ‘symptôme’ de la manière dont l’apprenant affronte un type d’obstacle donné.
2.4. La question de l’objectivité

La quête de l’objectivité dans l’enseignement de la traduction constitue depuis longtemps un objectif majeur. Pour Gémar (1996 : 501), « l’objectivité dans l’évaluation de la qualité d’une traduction ne cesse de préoccuper les traducteurs. » Delisle (2001 : 210) juge nécessaire de s’écarter des jugements émotifs, des critiques de goût et des « distributions subjectives de notes fondées sur rien du tout. » Selon Bowker (2000 : 184), « if translation evaluation is not seen to be objective, it will undermine the trainer’s position while simultaneously discouraging the students. »

Cependant, comme le rappelle Françoise Campanale (2001 : 7), « [l]’évaluation contient une part irréductible de subjectivité, » l’objectif étant d’en minimiser les effets grâce aux soins apportés à l’élaboration du processus d’évaluation. Hyang Lee (2006 : 415) souligne également qu’un « certain degré de subjectivité [est] inévitable aussi bien dans le domaine de la révision que dans celui de la traduction. » Enfin, pour François Coppens (2013 : 94), l’opposition faite entre subjectivité et objectivité scientifique relève même d’une « alternative illusoire qui exclut toute autonomie. »

Au vu de cette opposition d’idées, la question de l’objectivité correspond-elle plutôt à un Graal ou à une vieille lune? On constate que l’apaisement des prises de position est très récent dans le monde de l’enseignement de la traduction, alors qu’il remonte à un certain nombre d’années dans les sciences de l’éducation. Peut-être ce décalage est-il dû au souhait, émis à la fin du 20e siècle par des traductologues soucieux que la traductologie soit pleinement reconnue en tant que discipline, d’élever l’objectivité en évaluation au rang d’objectif prioritaire. Cela rejoint l’opinion de Hannelore Lee-Jahnke (2001 : 206), pour qui c’est par une évaluation fiable et objectivable que la traduction, l’interprétation et la terminologie vont pouvoir s’affirmer comme disciplines « respectables. » Même s’il nous semble que cette reconnaissance est désormais acquise, Marco Fiola et Georges Bastin (2008 : 10) rappellent qu’une des difficultés du processus d’évaluation réside toujours dans la nécessité de « surmonter la subjectivité qui caractérise encore trop souvent individus et institutions. »

Quant à Scallon (2004 : 1-2), il soutient qu’il fallait « se résigner à abandonner l’objectivité complète autrefois tant recherchée. L’évaluation, comme processus ou comme démarche, acquérait ainsi ses premières lettres de noblesse. » François-Marie Gérard (2002 : 26-34) postule même que la subjectivité serait indispensable en évaluation, et il l’oppose à l’arbitraire qui, lui, doit être combattu. En effet, selon lui, l’objectivité de l’évaluation est impossible : les performances évaluées sont différentes parce qu’elles dépendent de la conception que les enseignants se font des résultats attendus, de la démarche requise et de la compétence mesurée. De plus, les conditions d’observation (moment, forme du contrôle, mode de correction, etc.) peuvent varier, de même que les exigences des évaluateurs. Plus encore, l’objectif même d’objectivité serait à rejeter, car pour l’atteindre, il faudrait parvenir à une exhaustivité des objectifs, des critères et des indicateurs, ce qui est matériellement impossible. Par ailleurs, les conséquences sociales seraient inacceptables, car une telle évaluation déboucherait sur une standardisation extrême. Ainsi, selon Philippe Perrenoud (1995 : 288), « le flou des échelles d’appréciation est le jeu de l’engrenage pour éviter que la machine ne se bloque. » Cette appréciation est confirmée dans le domaine de la traduction par Robert Larose, pour qui « éliminer [la subjectivité] ne serait d’ailleurs peut-être pas souhaitable, car la part de jugement de l’évaluateur constitue précisément le facteur de souplesse de la méthode » (1998 : 182).

3. L’étude de Waddington

Waddington (2000), selon qui aucune étude empirique portant sur l’évaluation des travaux des étudiants en traduction n’avait été réalisée à la fin du 20e siècle, a interrogé 52 enseignants en traduction pour recenser les méthodes d’évaluation utilisées en Europe et au Canada. Le questionnaire utilisé portait sur les procédures d’administration et de correction des examens et comportait huit questions et sous-questions fermées, dont trois relatives à la tenue des examens et une au mode d’évaluation des copies.

3.1. Contenu et contexte des examens

L’épreuve de traduction consistait toujours en la traduction d’un texte, accompagnée pour 36 % des enseignants par une activité complémentaire (commentaire de traduction, analyse du texte source ou traduction d’éléments isolés). Quant à la longueur du texte, elle variait de 50 à 800 mots, le temps alloué, de 45 minutes à cinq heures. En moyenne, l’examen consistait donc à traduire un texte de 250 à 350 mots en deux ou trois heures2.

3.2. Méthodes d’évaluation

Les méthodes d’évaluation recensées par Waddington peuvent être réparties en trois grandes catégories : l’analyse des erreurs, l’approche holistique et une combinaison des deux.

La première méthode, la plus traditionnelle selon Gouadec (1989 : 40) et Kelly (2005 : 132), repose sur le décompte des erreurs et la soustraction des points afférents à partir d’une base correspondant à une traduction censée être « parfaite. » Il s’agit donc ici d’une évaluation orientée produit établie à l’aide de critères de réussite. D’après Waddington, 36 % des enseignants utilisent ce procédé, en se basant parfois sur une typologie des erreurs propre à leur université, mais dans la grande majorité des cas en ayant recours à un barème personnel. Une proportion identique d’enseignants avait recours à l’approche holistique, pour laquelle Waddington n’a cependant pas réussi à obtenir de détails quant à la mise en œuvre. Gouadec (1989 : 42), lorsqu’il évoque la méthode holistique, n’apporte pas non plus d’éclairage sur les critères utilisés, sans doute parce qu’elle se fait « selon une échelle empirique ‘interne’ à l’auteur de l’évaluation. » Enfin, la méthode combinée, utilisée par 23 % des répondants, reste floue, puisque Waddington n’a pu obtenir la pondération relative des deux éléments dans la note finale ni de détails sur l’application précise de cette approche.

4. Caractéristiques de l’évaluation en didactique de la traduction 

L’étude de la littérature et les conclusions de Waddington permettent de dégager les caractéristiques principales de l’évaluation en didactique de la traduction : la prépondérance de l’évaluation sommative et de son incarnation traditionnelle – la traduction d’un texte en temps limité – et une certaine autarcie des méthodes liée au statut tabou de l’évaluation.

4.1. La prépondérance de l’évaluation sommative

La conception de l’évaluation est souvent limitée à l’évaluation sommative, comme le rappelle Lee-Jahnke (2001 : 160), pour qui « tous les professeurs n’ont pas la même conception du rôle de l’évaluation. Pour beaucoup, elle sert uniquement à sanctionner les travaux à la fin du cours. » Selon Louise Brunette (1998 : 135), « à l’heure actuelle, la note chiffrée occupe presque tout le champ de l’évaluation didactique » en traduction. Cette méthode rassure et semble pouvoir assurer une certaine objectivité en garantissant une évaluation « équitable » pour tous, car fondée sur les mêmes éléments chiffrés. Pourtant, au dire de Brunette, on ne trouve nulle part d’explication quant aux fondements des critères d’évaluation qui sont appliqués. Elle évoque les conceptions figées et rarement étayées qui régissent les modes de correction et d’évaluation en vigueur dans l’enseignement de la traduction, qui n’auraient de la rigueur que l’apparence conférée par le recours à des notes chiffrées. Gouadec (1989 : 36) va même plus loin en affirmant que si le système actuel d’évaluation offre l’apparence d’une grande simplicité, ce n’est en fait que parce qu’il est rudimentaire, voire antipédagogique : « il dispense de comprendre, analyser, évaluer, corriger, prévenir les comportements induisant l’erreur ».

Même si quelques tentatives d’instauration de méthodes prenant en compte l’aspect formatif ont été faites, Lee-Jahnke (2001 : 263) considère que le domaine de la traduction souffre encore d’un manque de structures à cet égard. Elle est d’avis que l’évaluation formative doit être mise en œuvre dès le début de l’enseignement de la traduction. L’accent mis sur l’évaluation sommative et la place que celle-ci occupe se reflètent également dans les comportements des étudiants, qui pour Claire Allignol (2007 : 73) « sont perpétuellement en attente de notes. » La prépondérance de l’évaluation sommative se traduit dans le choix des modalités d’évaluation. Ainsi, souvent dès le début de leur enseignement, il est demandé aux apprentis traducteurs de faire la preuve de leurs compétences en traduction. Selon Daniel Gile (2001 : 383), « dans la plupart des programmes classiques de formation à la traduction et à l’interprétation, l’enseignement est axé autour du produit […] d’arrivée, qui est examiné et critiqué par l’enseignant. » Cette situation est également confirmée par Ana María García Álvarez (2007 : 139), pour qui « [m]any translation teachers limit themselves to evaluating the product of students’ translations, without taking into account the process. »

4.2. Une certaine autarcie des principes pédagogiques

Echeverri (2008 : 67) estime que « les formules pédagogiques mises en application à l’intérieur des cours pratiques de traduction restent pour la plupart les mêmes qu’il y a plus de cinquante ans » et il insiste « sur l’importance de créer un lien interdisciplinaire solide entre la traductologie et les sciences de l’éducation comme un préalable vers l’innovation et l’intégration des nouvelles réalités de la profession aux pratiques d’enseignement. » Il nous semble que ce constat peut être étendu à la question de l’évaluation. Nous en voulons pour preuve deux spécificités déjà évoquées, le poids de la faute et la quête de l’objectivité.

Par ailleurs, le statut tabou de l’évaluation en didactique de la traduction a été mis en évidence par Waddington (2000 : 274), qui souligne la rareté des échanges entre enseignants sur le sujet.

5. L’évaluation en didactique de la traduction au Canada en 2014

Notre objectif est de recenser les pratiques d’évaluation didactique en vigueur au Canada et de les analyser au regard des informations issues des travaux de Waddington, ce qui permettra de mesurer leur évolution au cours de ces quinze dernières années. Cependant, tandis que Waddington ne s’était intéressé qu’à l’aspect technique des méthodes d’évaluation, la présente étude aborde également l’évaluation sous l’angle immatériel, mais crucial, de la perception qu’en ont aussi bien les enseignants que les apprenants.

5.1. Présentation de la recherche

Le premier volet de cette étude a été mené auprès de 32 enseignants qui dispensent dans des universités canadiennes principalement des cours de traduction générale ou de traduction spécialisée de l’anglais vers le français, à l’exclusion de la traduction littéraire, dans le cadre d’un programme de premier cycle. Pour des raisons d’homogénéité, nous nous sommes limité aux cours de transfert linguistique, les matières connexes (enseignement de la terminologie ou de la révision, par exemple) présentant des caractéristiques différentes tant sur le plan de l’enseignement que sur celui de la nature des travaux évalués.

Le recueil des informations s’est fait à partir d’un questionnaire comportant 28 questions regroupées en six thèmes, qui a servi de base à des entretiens semi-dirigés menés en face-à-face ou à distance (vidéoconférence ou téléphone). Selon De Ketele et Roegiers (2009 : 146), cette méthode présente deux grands avantages : d’une part, les informations recueillies reflètent mieux les représentations que dans un entretien dirigé, puisque la personne interrogée peut s’exprimer plus librement. D’autre part, la collecte se fait dans un temps beaucoup plus court que dans un entretien libre, qui ne donne également aucune garantie quant à la pertinence des informations par rapport au sujet étudié. Par ailleurs, un tel entretien, selon Vermersch (2010 : 76), donne à la personne interrogée l’occasion de se questionner sur ses pratiques.

Le second volet de l’étude a été mené auprès de 357 étudiants issus des universités qui offrent au Canada un programme de baccalauréat3 en traduction de l’anglais vers le français. Il a été administré entièrement en ligne sous la forme d’un questionnaire qui visait à définir leur vision du concept d’évaluation, à cerner leurs attentes vis-à-vis de l’évaluation et à étudier leurs comportements en tant que récepteurs de l’évaluation.

5.2. Présentation de l’échantillon et du corpus

Les deux populations étudiées sont très majoritairement féminines (72 % des enseignants et 84 % des apprenants). Cette proportion apparaît d’ailleurs représentative de la réalité du marché du travail au Canada francophone, puisque les femmes constituent 81 % de l’échantillon dans une récente enquête (ATAMESL, 2014 : 6) portant sur les professions langagières dans laquelle 81 % des répondants déclarent travailler en traduction.

5.2.1. Caractéristiques de la population enseignante

Les enseignants qui composent l’échantillon sont pour la plupart expérimentés, puisque la tranche la plus représentée est celle des 10 à 20 ans (tableau 1) et que les enseignants les moins expérimentés (ancienneté inférieure à cinq ans) ne constituent que 19 % de l’échantillon. L’ancienneté statistique moyenne s’élève à 13,5 années.

Tableau 1

Tableau 1. Répartition des répondants par tranche d’ancienneté dans la profession

Notre échantillon compte 18 professeurs et 14 chargés de cours. L’ancienneté constitue un critère discriminant entre les deux catégories, puisque 67 % des professeurs ont plus de dix ans d’ancienneté tandis que 57 % des chargés de cours exercent en enseignement depuis moins de dix ans. La répartition entre traduction générale et traduction spécialisée est en revanche assez homogène, comme le montre le tableau 2.

Tableau 2

Tableau 2. Répartition par matière enseignée

5.2.2. Caractéristiques de la population étudiante

Les répondants sont issus de huit universités canadiennes (tableau 3), dont deux présentent des particularités quant au mode d’enseignement : le programme de l’Université de Québec à Trois-Rivières (UQTR) est offert entièrement à distance, et celui de l’Université de Saint-Boniface (USB) est mixte. Parmi les répondants de cette dernière, 25 % étudient en présentiel et 75 % en ligne. Si l’on constate une surreprésentation de l’Université Laval, dans laquelle nous enseignons, près des deux tiers des répondants sont cependant issus d’autres universités.

Tableau 3

Tableau 3. Origine des répondants au questionnaire

La majorité des programmes de baccalauréat en traduction suivis par les étudiants de notre échantillon sont d’une durée de trois ans. Dans les trois universités où le programme compte une quatrième année, la première année constitue une préparation à l’apprentissage de la traduction, au cours de laquelle sont dispensés principalement des cours de renforcement linguistique ou de culture générale, mais pas de traduction. Les 89 étudiants en question ont donc été statistiquement retraités à des fins d’homogénéisation des données. Comme le montre le tableau 4, la répartition retraitée de la population par année d’étude est relativement homogène, ce qui permettra d’analyser l’évolution de la perception des étudiants au cours de leur formation.

Tableau 4

Tableau 4. Répartition par année d’étude

5.3. Les modalités d’évaluation

L’examen et les travaux à la maison sont les modalités d’évaluation sommative plébiscitées par les enseignants (tableau 5). Tous y ont recours, les seconds étant réalisés le plus souvent individuellement, mais aussi parfois en équipe. Cette dernière modalité constituait auparavant un choix didactique visant à recréer le contexte d’une équipe de travail (traducteur, terminologue, réviseur, etc.), mais elle semble avoir connu un développement récent en raison de l’augmentation de la taille des groupes, puisqu’elle permet de réduire le nombre de copies à corriger. Les travaux à la maison consistent le plus souvent en une traduction, parfois accompagnée d’autres exercices, notamment des commentaires de traduction ou des fiches terminologiques (en traduction spécialisée).

Tableau 5

Tableau 5. Taux d’utilisation des modalités d’évaluation (en présentiel)

En moyenne, un enseignant a recours à 2,43 modalités différentes d’évaluation dans ses cours, c’est-à-dire qu’environ quatre enseignants sur dix ajoutent une autre modalité d’évaluation aux traditionnels examens et devoirs à la maison. On constate que cette proportion est très proche des 36 % indiqués dans l’étude de Waddington. Pour 63 % des enseignants en présentiel, l’évaluation consiste uniquement en des examens et des traductions à la maison. L’enseignant type fait passer à ses étudiants 2,13 examens et leur demande 3,27 travaux à la maison. On constate une certaine cohérence intradépartementale dans les universités, souvent attribuée par les répondants à l’héritage de la tradition.

Les examens et travaux à la maison représentent en moyenne 96 % de la note finale de la session (tableau 6). À eux seuls, les examens, dont le caractère « sacro-saint » relevé par Martínez Melis (2001 : 150) est ici confirmé, comptent pour plus de la moitié de cette note.

Tableau 6

Tableau 6. Pondération des modalités d’évaluation dans la note finale (en présentiel)

La productivité horaire la plus souvent attendue de la part des enseignants lors d’un examen est comprise entre 100 et 125 mots (tableau 7). On constate que ces chiffres sont proches de ceux de Waddington. D’après certains des enseignants interrogés, la longueur des textes proposés aux étudiants est restée stable au cours de la dernière décennie.

Tableau 7

Tableau 7. Productivité attendue de la part des étudiants lors d’un examen

5.4. Les méthodes d’évaluation

Dans l’étude de Waddington (2000), l’équilibre était presque parfait entre les tenants de l’analyse des erreurs et ceux d’une approche holistique. Les résultats issus de notre étude font apparaître une répartition significativement différente. Ainsi, environ les deux tiers des enseignants déclarent utiliser l’analyse des erreurs (tableau 8) et aucun n’adopte une approche entièrement holistique.

Tableau 8

Tableau 8. Répartition des méthodes d’évaluation

Waddington ne fournissant pas le détail de l’échantillon étudié, nous ne pouvons que supputer quant aux raisons de ces écarts, qui pourraient être expliqués par l’influence de l’école canadienne de traduction, l’origine des répondants ou le type de cours enseignés (l’approche holistique est en effet généralement associée à la traduction littéraire). Ce dernier paramètre constitue d’ailleurs un critère fortement discriminant dans le choix de la méthode employée, puisque 82 % des enseignants en traduction spécialisée ont recours à l’analyse des erreurs, contre seulement 47 % pour les cours de traduction générale.

Les raisons invoquées par les enseignants qui recourent à une approche combinée s’articulent autour de trois axes : un souci de conformité administrative (certaines universités demandent à ce que les notes soient attribuées en lettres), un désir de moduler le résultat mathématique issu de l’analyse des erreurs en fonction de paramètres généraux ou externes, et le souhait d’éviter les récriminations des étudiants au sujet de détails de correction.

L’appartenance à un département joue ici aussi un rôle déterminant quant au choix de la méthode : dans les cinq universités pour lesquelles au moins trois enseignants ont participé à l’étude se dégage une majorité souvent franche pour l’une ou l’autre des approches (tableau 9).

Tableau 9

Tableau 9. Répartition des méthodes d’évaluation par université

Enfin, il apparaît que parmi les enseignants interrogés, 83 % de ceux qui sont en début de carrière (moins de cinq ans d’ancienneté en enseignement) privilégient la méthode de l’analyse des erreurs, dont le caractère rigoureux apparaît peut-être plus à même de réduire le stress qu’ils éprouvent lié à une situation à laquelle sans doute peu ont été préparés.

Le barème de correction est un outil utilisé par 81 % des enseignants interrogés. Même si le choix d’une approche ne préjuge pas de l’usage d’un barème, les enseignants qui pratiquent l’approche combinée sont logiquement plus nombreux à ne pas avoir recours à cet outil (27 % d’entre eux contre 14 % des tenants de l’analyse des erreurs). Cependant, cet écart s’explique principalement par la démarche adoptée, la situation pouvant être schématiquement résumée comme suit : Delisle d’un côté, le Sical III de l’autre. En effet, plusieurs universités utilisent un barème inspiré de la typologie des erreurs proposée par Delisle dans La traduction raisonnée (2013 : 30-32), qui repose sur la distinction entre « fautes de langue » et « fautes de traduction. » D’autres enseignants ont recours à une version dérivée du Sical III, dans laquelle sont distinguées les erreurs de langue (L) et les erreurs de traduction (T), qui sont caractérisées selon leur degré de gravité (graves ou mineures). Ainsi, alors que la typologie issue de Delisle permet une caractérisation précise des erreurs, l’utilisation même du Sical tient lieu de barème, puisque seules les lettres L et T apparaissent sur les copies, cerclées ou non selon la gravité de l’erreur.

Par ailleurs, l’expérience et le statut semblent aussi jouer un rôle dans la préférence accordée à l’une ou l’autre des approches : tous les enseignants qui ont moins de cinq années d’expérience dans la profession ont recours à un barème, tandis que 28 % des professeurs déclarent ne pas en utiliser. Aucune université n’impose l’emploi d’un tel outil et les enseignants préfèrent majoritairement utiliser un barème personnel, adaptable à différents contextes didactiques (année d’enseignement, degré de difficulté d’un texte, etc.).

Schématiquement, les enseignants qui utilisent l’analyse des erreurs déclarent procéder de la façon suivante : annotation de la copie à l’aide des codes de correction affichés sur le barème, indication d’explications ou d’une solution en cas d’erreur, et calcul de la note par déduction des points à partir d’une base 100 après ajustements éventuels en fonction de la longueur ou de la difficulté du texte. Quant aux enseignants qui recourent à une approche combinée, ils décomptent généralement les erreurs en les classant selon les deux catégories ou les deux degrés de gravité du Sical III, puis utilisent ces informations en conjonction avec leur perception de la qualité générale de la copie pour donner une note sous forme de lettre.

Indépendamment de l’approche utilisée, la plupart des enseignants suivent deux étapes. Au cours de la première, ils procèdent à un relevé des erreurs, généralement en corrigeant copie par copie pour un même paragraphe ou segment du texte, ce qui permet de s’assurer de la cohérence et de l’équité de la correction. Cette étape constitue aussi pour certains la possibilité de classer les copies par niveau de qualité et d’affiner la pondération du barème de façon à s’assurer d’une moyenne satisfaisante. On note ici une dichotomie entre les partisans de la correction approfondie, pour qui toute erreur doit être signalée, et les tenants d’une approche que nous pourrions qualifier de docimologique, dans laquelle l’objectif est d’arriver à une moyenne satisfaisante, c’est-à-dire proche des niveaux habituellement constatés et susceptible de ne pas provoquer un émoi inhabituel chez les étudiants.

5.5. La dématérialisation des flux de correction

Le développement rapide de l’utilisation des outils informatiques dans le milieu professionnel de la traduction a précédé un mouvement similaire au sein des universités, qui sont toutes équipées de laboratoires recevant des groupes d’étudiants pour la passation des examens. De fait, plus de la moitié des répondants ont indiqué privilégier cette solution. Les principales raisons évoquées sont la cohérence pédagogique (les étudiants travaillent sur ordinateur tout au long de la session), la volonté de se rapprocher des conditions réelles d’exercice du métier, et la pression des étudiants envers les enseignants réfractaires au changement de support. Il est à noter que les jeunes (en termes d’expérience) enseignants plébiscitent cette modalité à 83 %, alors que les autres répondants ne sont que 42 % à la préférer aux autres.
Un enseignant en présentiel sur six se rapproche des conditions de l’enseignement à distance en faisant passer les examens à la maison. Les justifications apportées touchent en premier lieu la difficulté d’obtenir un laboratoire pour les grands groupes, mais le risque de problèmes informatiques est également invoqué, ainsi que l’inconfort des laboratoires. Cette pratique rencontre cependant une opposition chez certains enseignants, qui la qualifient de « blague absurde » ou de « situation dans laquelle il planera toujours un doute. » Pour notre part, nous considérons que l’obstacle du manque de place en laboratoire se contourne simplement (par exemple en réservant un second laboratoire et en y plaçant un surveillant) et que les risques liés à une panne informatique sont au contraire moindres dans un local universitaire, où les ordinateurs font l’objet d’une maintenance professionnelle et de mises à jour fréquentes. Il est à noter que les chargés de cours sont plus nombreux à privilégier le laboratoire, tandis que les professeurs sont près d’un quart (tableau 10) à opter pour l’examen à distance.

Tableau 10

Tableau 10. Modalités matérielles de déroulement des examens, selon le statut

Enfin, l’examen sur table recueille 30 % des suffrages, également répartis entre chargés de cours et professeurs. Pour certains enseignants, cette solution résulte d’une contrainte (indisponibilité des laboratoires, demande expresse de l’administration universitaire, peur de la triche), tandis que d’autres souhaitent que les étudiants soient évalués sur leurs compétences intrinsèques (terme utilisé par certains répondants pour désigner l’emploi des seuls ouvrages papier au lieu d’outils informatiques parfois qualifiés de « béquilles »). On constate par ailleurs que la traduction à livres fermés, pratiquée lors des examens par 27 % des enseignants dans l’étude de Waddington (2001 : 273), n’a plus cours en 2014.

Le papier demeure le principal vecteur de remise des travaux des étudiants (tableau 11). L’absence de données antérieures ne permet pas de mesurer la progression du dépôt électronique, mais il ressort des entretiens que le développement des plateformes d’enseignement a contribué à la dématérialisation des échanges des étudiants vers les enseignants.

Tableau 11

Tableau 11. Modes de remise des travaux des étudiants en présentiel

La pression des étudiants constitue un autre facteur non négligeable. En effet, le dépôt électronique des travaux ne présente pour eux que des avantages et plusieurs enseignants nous ont déclaré avoir modifié leurs habitudes en raison de demandes pressantes. L’exemple de l’Université Laval illustre ce processus de « contagion »: ce n’est qu’en 2009 que les premières remises dématérialisées de travaux ont eu lieu, deux ans avant la mise en service de la plateforme d’enseignement, et ce sont maintenant 80 % des enseignants qui privilégient ce mode de remise. Cette université étant surreprésentée au sein de l’échantillon, le retraitement des données met en évidence que le papier reste largement prépondérant au sein des autres universités, comme on peut le constater sur la figure 1.

Figure 1

Figure 1. Flux de correction des travaux des étudiants en présentiel, hors Université Laval

Ainsi, plus de sept copies sur dix sont encore imprimées par les étudiants en présentiel (hors Université Laval) et seules 19 % des copies restent dématérialisées tout au long du processus. Dans le cas spécifique de notre université, ce dernier taux s’élève à 67 %. L’accueil très positif des étudiants à cette procédure que nous avons entamée en 2010 et les échanges avec nos collègues qui ont eu lieu tout au long de la présente étude contribuent sans doute à expliquer cette particularité.

5.6. Une part importante de la charge de travail des enseignants

Un peu plus de la moitié des enseignants déclarent consacrer à la correction entre 20 et 40 minutes par copie. Le type de cours enseigné et le statut ne constituent pas des facteurs réellement discriminants, pas plus que l’approche de correction. Un professeur mettra donc 34 minutes à corriger une copie à l’aide d’une approche combinée, tandis qu’un chargé de cours y passera 29 minutes en mettant en œuvre une analyse des erreurs. En revanche, la méthode mise en œuvre pour la correction est à l’origine d’écarts importants : un enseignant travaillant sur une copie papier y consacrera en moyenne quelque 26 minutes, alors qu’un autre utilisant la fonction Commentaire de Word y passera près de 40 minutes. Le tableau 12 met en évidence que 64 % des adeptes de la correction numérique consacrent plus de 30 minutes à chaque copie.

Tableau 12

Tableau 12. Temps de correction moyen passé par copie en correction électronique

Cette surcharge de travail ne s’explique pas par la méthode de saisie, puisque la majorité des enseignants déclarent taper au clavier plus vite qu’ils n’écrivent à la main. C’est en fait la possibilité qui leur est offerte d’apporter plus de commentaires que sur une copie papier qui apparaît être l’élément moteur du choix de ces enseignants « numériques ». L’avantage de la lisibilité de ces commentaires a également été mis en avant. Par ailleurs, le fait de pouvoir faire parvenir leur copie aux étudiants avant le cours est cité comme un élément sécurisant pour l’enseignant.

En résumé, puisque l’enseignant type prévoit dans son plan de cours en moyenne 2,13 examens et 3,27 devoirs, on peut en déduire qu’il consacrera, pour chaque étudiant, environ deux heures et 47 minutes à corriger les travaux de la session. Pour des groupes de 30 et 45 étudiants, cela correspond respectivement à un total d’environ 84 et 125 heures. Pour un chargé de cours rémunéré sur la base de 225 heures travaillées, l’acte d’évaluation représente donc à lui seul entre 37 et 55 % de la charge de travail.

5.7. L’évaluation vécue par les enseignants

La façon dont les enseignants vivent l’évaluation a été mesurée sous trois angles : leur degré de communication avec leurs collègues sur ce sujet, leur sentiment vis-à-vis de quatre assertions (question à choix multiples) et leur vision du rôle de l’évaluation (question ouverte).

5.7.1. L’évaluation, une activité solitaire

Waddington (2000 : 274) s’étonnait du peu de communication entre les enseignants au sujet des pratiques d’évaluation de leurs collègues. Dans son étude, seulement 24 % des répondants démontraient de l’intérêt en la matière. Il apparaît que la situation n’a guère évolué en 2014, puisque 77 % des enseignants déclarent que l’évaluation ne constitue jamais ou que rarement un sujet de discussion. Par ailleurs, six des sept réponses « parfois » ou « souvent » sont issues de seulement deux universités. Ainsi, la situation qui prévaut dans la majorité des universités reflète un mutisme certain.

5.7.2. Le stress lié à l’évaluation

Si l’évaluation constitue un motif de stress bien connu chez les étudiants, elle représente une grande source d’insatisfaction chez les enseignants. Elle est vécue comme une source de stress par 34 % des répondants. Ce syndrome touche principalement les femmes : 40 % s’avouent stressées, contre seulement 22 % des hommes. Les commentaires qui illustrent une position défensive vis-à-vis du processus d’évaluation émanent d’ailleurs tous d’enseignantes :

L’évaluation, c’est pour leur faire plaisir [aux étudiants], pour moi, c’est un vrai cauchemar! C’est la tâche la plus ingrate pour les professeurs.
Je m’attends toujours à avoir des contestations. Je ressens toujours une certaine angoisse quand je remets des copies, parce que j’ai peur de m’être trompée. Je remarque le soulagement après le cours.
Le climat d’enseignement serait meilleur sans [évaluation]. Certains étudiants sont méchants, ils découragent. L’évaluation ne sert qu’à constater les dégâts. C’est un exercice difficile pour les enseignants, car les étudiants sont plus réactifs et revendicatifs qu’avant.
5.7.3. Typologie des conceptions de l’évaluation

Au regard des réponses obtenues, on peut esquisser des enseignants la typologie suivante quant à leur conception du rôle de l’évaluation:

a.     Les convaincus
Près de quatre enseignants sur dix considèrent l’acte d’évaluation comme un outil didactique primordial.

C’est essentiel en traduction, c’est la formation même, l’essence même. En traduction, ça fonctionne par essais/erreurs. Ça ne sert à rien de lire La traduction raisonnée si l’on n’applique pas ses principes dans de vrais textes.
L’évaluation en général sert, entre autres, à voir ce que l’étudiant a saisi des exposés magistraux et des exercices qui la précèdent. C’est beau de connaître la notion d’adjectif de relation et d’être capable de cibler la difficulté dans de courts extraits, p. ex., mais évitera-t-il le piège dans un « vrai » texte? L’évaluation en temps limité, elle, renseigne l’étudiant au moins autant qu’elle me renseigne quant à ce qu’il risque de valoir en contexte de stage ou d’emploi. On peut diagnostiquer les problèmes et y travailler par la suite.
Je sais que cela fait vieille école, mais l’évaluation est très utile. Sans évaluation, on resterait toujours dans l’approximation. Elle sert à faire comprendre à l’étudiant qu’il y aura toujours une zone grise. Les étudiants écoutent plus quand on leur met une note.
L’évaluation sert à valoriser l’étudiant, à lui donner un message plus substantiel que « 90 %, t’es bon », à lui dire où il en est rendu par rapport à sa progression. L’évaluation doit permettre à l’étudiant de prendre en main son apprentissage.

Cette valorisation du rôle de l’évaluation se reflète dans les habitudes de communication des enseignants concernés, puisque seulement 8 % de ceux qui voient dans l’évaluation un outil primordial déclarent ne jamais aborder le sujet avec leurs collègues, alors que cette proportion s’élève à 42 % pour l’ensemble des répondants.

b.     Les positifs
Un peu plus de la moitié des enseignants considèrent l’évaluation comme un outil d’enseignement parmi d’autres, mais lui confèrent un rôle positif en tant qu’outil de validation des acquis et de régulation des apprentissages.

L’évaluation sert à donner l’heure juste à l’étudiant sur la valeur de son travail et à donner l’heure juste à un éventuel employeur qui va étudier le relevé de notes. Mon évaluation est réussie si je pense que ma note reflète la valeur de la copie.
L’évaluation sert à évaluer la qualité des textes rédigés par les étudiants et à souligner les erreurs qu’ils commettent afin que ceux-ci améliorent leur jugement, leurs recherches et la qualité de leur rédaction. L’évaluation et la rétroaction en classe permettent de développer le sens critique des étudiants en matière de langue française.
L’évaluation sert à s’améliorer, pas seulement à donner des notes, mais aussi à orienter les énergies, à guider les apprentissages.

c.      Les traditionalistes
Avec ces visions positives ou très positives du rôle de l’évaluation cohabitent des conceptions plus traditionnelles d’où ressort parfois l’opposition entre les aspects formatifs et sommatifs de l’évaluation, ainsi qu’une vision administrative du processus.

L’évaluation formative sert à établir des diagnostics (pour l’enseignant) et à s’autoévaluer (pour l’étudiant). L’évaluation sommative sert à valider les acquis.
L’évaluation sert à donner des notes parce que l’université en veut.
L’évaluation sert à poser un jugement sommatif, par obligation.
Il faut distinguer le sommatif et le formatif. Le sommatif sert à donner des notes et le formatif sert à leur donner de la rétroaction, à les motiver, à les situer dans leur progression.

d.     Les statisticiens
Les membres de cette dernière catégorie mettent principalement l’accent sur la note. Tous ont déclaré ne jamais aborder le sujet de l’évaluation avec leurs collègues.

Pour moi, une évaluation réussie, c’est quand personne n’a en bas de C.
L’évaluation sert à leur donner des notes et à vérifier les apprentissages. J’ai atteint mon objectif quand je n’ai pas ou très peu d’échecs, je regarde la moyenne, la courbe.
Il faut que les résultats suivent une courbe de Gauss.
Je suis satisfaite quand j’arrive à une moyenne satisfaisante. Quand il y a de très bonnes notes, je me dis que c’était possible de bien réussir.
5.8. L’évaluation vécue par les apprenants

Si la perception de l’évaluation par les étudiants universitaires a souvent été abordée par la recherche (Robinson et coll., 2013; Lizzio et Wilson, 2013, pour ne citer que les plus récentes), aucune étude spécifique à l’enseignement de la traduction n’avait encore été menée à ce jour.

5.8.1. Un a priori positif vis-à-vis de l’évaluation

Les répondants devaient indiquer leur degré d’assentiment vis-à-vis de quatre assertions quant au rôle joué par l’évaluation en tant qu’outil de repère, que ce soit pour l’apprenant ou l’enseignant, et comme outil d’apprentissage. Le tableau 13 résume ces réponses.

Tableau 13

Tableau 13. Degré d’accord des étudiants vis-à-vis de quatre assertions

La constatation la plus évidente qui ressort de ces données est la vision positive ou très positive que les étudiants ont de l’évaluation : plus de 89 % d’entre eux considèrent qu’il s’agit d’un bon ou d’un excellent moyen de se situer dans ses apprentissages. Cependant, une légère ambivalence apparaît quant à l’utilité de l’évaluation pour l’enseignant : seuls 28 % des répondants affirment que celle-ci permet à l’enseignant de situer l’apprenant dans ses apprentissages. Les commentaires rédigés par les étudiants apportent un éclairage sur cette différence de perception. Ainsi, il en ressort que deux aspects pourraient expliquer ce sentiment : d’une part, le fait qu’il soit difficile pour l’enseignant d’individualiser le suivi, et d’autre part, le manque de rétroaction.

Par ailleurs, l’évaluation constitue un outil d’apprentissage pour plus de 84 % des répondants. Même si la proportion des réponses « tout à fait d’accord » est largement inférieure que pour l’assertion précédente (29 % contre 51 %), cela met en évidence le rôle potentiellement positif que les apprenants confèrent à l’évaluation. Les commentaires qui viennent affaiblir cette perception concernent principalement la rétroaction, que les étudiants jugent parfois déficiente.

Les évaluations bien faites avec des commentaires pertinents et des suggestions d’amélioration penchent plus vers l’apprentissage que l’importance de la note, mais malheureusement elles sont rares. Souvent les commentaires sont minimes, les erreurs peu ou pas expliquées.
L’évaluation peut être un outil d’apprentissage si une rétroaction détaillée est donnée par le professeur, ce qui n’est malheureusement pas souvent le cas, en raison de la confidentialité du matériel d’examen, ce qui est tout à fait compréhensible, cela dit.

En résumé, le concept d’évaluation est perçu a priori de façon favorable, voire très favorable, par les étudiants. Cette perception apparaît indépendante de l’université d’origine et des modalités d’enseignement.

5.8.2. Un effritement progressif

L’avancement dans le cursus constitue un critère discriminant de la perception des étudiants. Ainsi, la proportion d’étudiants pour qui l’évaluation constitue un très bon repère de leurs apprentissages passe de 59 % pour les premières années à 38 % pour les finissants (tableau 14).

Tableau 14

Tableau 14. Perception de la fonction repère de l’évaluation selon l’année d’étude

Cette évolution apparaît logique, puisque les étudiants novices sont en recherche de repères au début de leur formation, besoin qui tend à s’atténuer au fur et à mesure qu’ils prennent confiance en eux. Les réponses à l’assertion « l’évaluation me sert à me comparer aux autres » montrent une évolution identique. On constate aussi qu’alors que 35 % (tableau 15) des étudiants de première année associent étroitement évaluation et apprentissage, cette proportion chute à respectivement 27 % et 22 % pour les années suivantes.

Tableau 15

Tableau 15. Évolution selon l’année d’études de l’association du mot-clé « apprentissage » au concept d’évaluation

La chute des opinions très favorables quant à l’utilité de l’évaluation comme outil d’apprentissage est encore plus marquée, comme le montre le tableau 16 : alors que 36 % des étudiants débutants sont tout à fait d’accord avec cette assertion, cette proportion passe à 21 % chez les finissants.

Tableau 16

Tableau 16. Perception de l’évaluation comme outil d’apprentissage, selon l’année

On constate donc un certain désenchantement des étudiants vis-à-vis de pratiques pourtant perçues a priori favorablement. Cette évolution, qui apparaît être indépendante des modalités d’enseignement et du sexe, a pour corollaire une remise en cause en fin de cursus du caractère objectif de l’acte d’évaluation. La subjectivité perçue, présente en première année, mais atténuée durant la seconde, remonte ainsi de manière significative en fin de parcours, jusqu’à dépasser celle des débutants (tableau 17).

Tableau 17

Tableau 17. Évolution de l’association du mot-clé «objectivité» au concept d’évaluation

En conclusion, l’évaluation jouit d’une perception particulièrement positive chez les étudiants au début de leur formation. Cependant, une certaine désillusion s’installe au fur et à mesure de leur avancement dans le cursus, ce qui se reflète dans la remise en cause progressive de l’objectivité de l’évaluation et de l’utilité de celle-ci en tant qu’outil d’apprentissage. Dans les deux cas, les commentaires des étudiants dénoncent l’insuffisance ou l’absence de rétroaction de la part des enseignants. La rétroaction, dont l’importance a été mise en avant par Scallon (2000) et Gardy (2015), apparaît donc également comme un élément central en didactique de la traduction.

Par ailleurs, tout comme celle des enseignants, la vision que les étudiants ont de l’évaluation relève d’une approche majoritairement sommative : l’examen et la note sont étroitement associés à l’acte d’évaluer.

5.8.3. Clarté et quantité des commentaires, talons d’Achille de la rétroaction

Le mode d’enseignement (en présentiel ou à distance) apparaît comme le critère discriminant dans le jugement que les étudiants posent sur la rétroaction. Les étudiants à distance se déclarent plus satisfaits que leurs homologues en présentiel, principalement pour le critère de clarté, classé en première position chez les étudiants à distance, mais en dernier chez ceux en présentiel. La méthode d’annotation des copies, numérique pour les uns et majoritairement manuelle pour les autres, constitue bien un motif réel de satisfaction d’un côté et de frustration de l’autre. Le sentiment positif des premiers ne porte cependant que sur la forme, puisque la possibilité de déchiffrer des commentaires ne garantit pas leur compréhension. Ainsi, près de 20 % des étudiants à distance se déclarent peu ou pas satisfaits à cet égard. Quant aux étudiants en présentiel, plus d’un tiers sont dans ce cas, et seuls un peu plus de 10 % d’entre eux se déclarent très satisfaits, tandis que les commentaires négatifs abondent.

Je sais que ça dépend du professeur, de sa calligraphie et de son système personnel de notation, mais les 3/4 du temps ce n’est vraiment pas clair. Des fois c’est même pratiquement illisible. Les étudiants se font pénaliser quand ils remettent un travail illisible (comme un examen par exemple), mais quand on essaye de déchiffrer les corrections, c’est très frustrant de ne pas comprendre.
Il arrive fréquemment que les commentaires (ou même les abréviations) soient dans une écriture si illisible qu’ils sont tout à fait incompréhensibles.
Pour les copies papier que j’ai reçues, les commentaires étaient tellement mal écrits que je n’arrivais même pas à lire, donc au final ça ne servait pas à grand-chose...
Il semblerait que les professeurs sont comme les médecins : ils barbouillent au lieu d’écrire. Ce n’est pas l’explication qui est difficile à comprendre, mais plutôt la façon dont elle est écrite.

Au-delà de l’aspect calligraphique, la quantité insuffisante de commentaires constitue un grief partagé par les étudiants indépendamment du mode d’enseignement (32 % dans les deux cas). C’est d’ailleurs cette partie du questionnaire qui a de loin suscité le plus de réactions, presque toujours négatives.

Commentaires le plus souvent absents; notes parfois données sans même un soulignement ou une marque de reconnaissance d’erreur; subjectivité de l’évaluation; interprétations obscures des critères de correction.
Le plus souvent, il y a si peu de commentaires qu’il est difficile de comprendre nos erreurs, donc il est difficile d’apprendre de nos erreurs.
Ils sont parfois complètement absents et ruinent par leur absence l’occasion d’apprendre et de faire mieux en plus de donner le sentiment que la correction était très subjective.

En dépit des problèmes liés à la clarté et à la quantité des commentaires, les étudiants voient la rétroaction comme un moyen d’aide à la compréhension de leurs erreurs et à la prévention de leur récidive : plus de 70 % se déclarent d’accord ou tout à fait d’accord avec l’assertion « Les commentaires et annotations m’aident à comprendre mes erreurs », et 78 % avec l’assertion « Les commentaires et annotations m’aideront à éviter de répéter mes erreurs ».

6. Principaux enseignements de la recherche

L’évaluation didactique représente à la fois une part importante de la charge de travail des enseignants en traduction et un enjeu auquel une large majorité d’entre eux sont sensibles. Quatre enseignants sur dix y voient même un outil d’enseignement primordial. Cependant, elle constitue également une source de stress pour un tiers d’entre eux, et plus particulièrement pour les femmes. Ce stress est principalement lié à la peur de mal faire, ce qui démontre indirectement l’importance attachée à l’évaluation. Celle-ci demeure également un acte individuel, voire solitaire, au sujet duquel peu d’enseignants acceptent de communiquer. La plupart ignorent complètement les pratiques de leurs collègues de département, même si une minorité d’universités ont édicté des consignes générales, parfois méconnues et presque toujours facultatives, quant aux procédures à mettre en œuvre.

Par ailleurs, les pratiques en matière d’évaluation didactique sont profondément marquées par la tradition. Alors que les conditions d’exercice du métier de traducteur ont considérablement évolué, les modalités pratiques d’évaluation n’ont quant à elles pas changé de façon notable par rapport à celles observées par Waddington à la fin du siècle dernier. Sur le fond, l’examen constitue toujours la modalité d’évaluation par excellence, ce qui est compréhensible au regard du caractère professionnalisant du baccalauréat en traduction au Canada. Cependant, dans plus de la moitié des cas, l’examen ne consiste qu’en la seule traduction d’un texte, même dans les cours de traduction générale pour lesquels l’objectif affiché est d’amener l’étudiant de mettre au point, puis d’affiner, sa méthode de travail. Ainsi, l’approche orientée produit est encore privilégiée par une majorité d’enseignants au détriment de l’approche orientée processus, et ce, indépendamment de l’avancement dans le cursus. Seuls quatre enseignants sur dix s’aventurent hors des sentiers battus que constituent les traditionnels examens et devoirs à la maison.

Dans l’esprit des étudiants, les concepts d’évaluation et de note sont étroitement liés. Cependant, même si cette dernière focalise leur attention, elle ne constitue pas pour autant un obstacle à la reconnaissance de l’aspect formatif de l’évaluation. L’acte d’évaluation de leurs travaux jouit en effet auprès des étudiants en traduction d’un a priori favorable au début de leur formation. Si une large majorité d’entre eux le considèrent comme un outil d’apprentissage à part entière qui s’avère également efficace pour faire le point sur leurs apprentissages, cette perception positive tend à s’estomper au fur et à mesure de leur avancement dans le cursus pour faire place à une certaine désillusion chez les finissants : si près de 36 % des étudiants de première année voient l’évaluation comme un outil d’apprentissage, ils ne sont plus que 21 % dans ce cas en troisième année. Cette évolution apparaît directement imputable à leur perception de la qualité de la rétroaction reçue, sur le plan tant qualitatif que quantitatif. Par exemple, les étudiants en présentiel pointent du doigt à la fois la maigreur des commentaires reçus et leur fréquente illisibilité. Quant aux étudiants à distance, ils mettent également en exergue la rétroaction insuffisante, mais aussi parfois son absence pure et simple, notamment en ce qui concerne les examens. Le lien entre la subjectivité perçue et la lisibilité des annotations ressort des commentaires des étudiants.

7. Conclusion

Les moments de l’évaluation cristallisent les tensions grandissantes liées au bouleversement du contexte de l’enseignement universitaire de la traduction : augmentation du nombre d’étudiants dans les cours, alourdissement de la charge de travail des enseignants, contraintes financières grevant les budgets alloués à l’aide à la correction, modification des modalités pratiques d’évaluation (tenue des examens en laboratoire) sous la pression des étudiants, par exemple. Autant les aspects psychologiques de l’évaluation n’ont été que très rarement abordés en traductologie, autant il nous apparaît essentiel de tenir compte des réalités matérielles vécues par les enseignants et de leurs dispositions mentales. Ainsi, plus du tiers de ceux que nous avons interrogés déclarent vivre l’évaluation comme une source de stress, tandis que d’autres mettent en avant la difficulté de disposer de laboratoires pour les examens. Si la problématique technique et financière de ce dernier obstacle tend à s’amenuiser au fur et à mesure du développement inversement proportionnel des capacités des ordinateurs et de leur coût, une formation des enseignants aux pratiques et aux modalités modernes d’évaluation nous semble indispensable pour réduire le stress constaté et renforcer la perception positive que les formateurs ont du processus d’évaluation pédagogique. Nous partageons pleinement l’idée de Kelly (2005 : 58) selon laquelle

there is no doubt that training in a complex activity such as translation must necessarily adopt a networked approach to course design, and that compartmentalization in hermetic course units should be avoided as far as possible. This implies a strong need for coordination and team work, preventing the sensation many students have today that there is no relation between different course units.

La communication sur le sujet de l’évaluation, pour l’instant virtuellement absente des échanges entre les enseignants, constitue le second impératif préalable à la mise en œuvre d’une nouvelle approche évaluative. Même si une cohérence intradépartementale en la matière ne relève ni d’un souhait émis par les étudiants ni d’une nécessité pédagogique, il n’en demeure pas moins qu’une réflexion commune et une confrontation des points de vue ne pourraient avoir que des effets bénéfiques sur les pratiques individuelles. Briser le tabou qui entoure encore trop souvent la question de l’évaluation contribuerait de plus à réduire le stress vécu par les enseignants.

Enfin, l’évaluation fait partie intégrante des processus d’enseignement et d’apprentissage. Toute tentative de refonte des modalités d’évaluation ne pourra donc se faire indépendamment d’une réflexion menée sur les approches pédagogiques. L’innovation en la matière, incarnée en traduction par Kiraly (2000), a été depuis prônée par Kelly (2005) et Echeverri (2008). Il sera nécessaire que d’autres voix s’élèvent pour réclamer une évolution des pratiques didactiques et la prise en compte des modifications profondes qu’a connues le métier de traducteur au cours des dernières décennies.

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Biography

Gardy portrait

Philippe Gardy is a Lecturer at the Université Laval in Québec, where he completed his PhD. in Translation Studies in 2015. He also holds an MBA from York University, Toronto, and graduated from the Lyon School of Management in 1991. He has been a member of the Department of Translation at Université Laval since 2008. His research focuses mainly on economic translation and on translator training.
E-mail: philippe.gardy@lli.ulaval.ca

Endnotes

Note 1:
Non-sens, contresens, faux sens.
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Note 2:
Dans l’article de Waddington ne figurent pas de données statistiques précises sur ce point.
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Note 3:
Le baccalauréat au Canada correspond à la licence en Europe.
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