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Etude lexicographique et discursive des collocations en vue de leur intégration dans une base de données terminologiques

Mojca Pecman, Université Paris Diderot – Paris 7

RESUME

L’article présente une étude discursive des collocations, dont la visée est d’améliorer le traitement lexicographique de ce type d’unités linguistiques dans une base de données terminologiques en ligne, appelée base ARTES (Aide à la Rédaction de TExtes Scientifiques). Cette base sert à la création de ressources lexicales destinées aux traducteurs spécialisés et aux scientifiques souhaitant rédiger une communication en langue seconde. L’enregistrement des collocations dans la base permet de fournir des informations précieuses sur l’utilisation des termes en langues de spécialité. Une telle entreprise soulève nombre de questions lexicographiques liées à la problématique du traitement différentiel des collocations spécifiques aux domaines et de celles qui sont spécifiques aux genres. Nous procédons ainsi à une analyse discursive des phénomènes collocationnels les plus saillants dans les articles scientifiques portant sur les domaines des sciences de la terre, de l’environnement et de l’écologie. Un corpus a été créé en dégageant les différentes sections des articles afin de permettre une analyse de la distribution des collocations à travers les textes. Cette étude ouvre la voie à une interprétation des collocations en fonction de leurs rôles spécifiques au niveau du genre, du discours, du domaine et du texte.

ABSTRACT

In this paper we propose a discursive analysis of collocations with a view to improving a lexicographical approach to this type of linguistic items within an online terminological database, known as the ARTES database (Aide à la Redaction de TExtes Scientifiques / Dictionary-assisted writing tool for scientific communication). The target users of this database are specialised translators and scientists who need to write academic papers in their second language. Collocations can provide useful information about the way terms are used in Languages for Special Purposes. The paper discusses a number of lexicographical issues raised by such a project: namely the difficulty in distinguishing domain-specific collocations from genre-specific collocations when building up phraseological resources. In order to shed light on this problem, we conduct a discursive analysis of the most salient collocational phenomena observed in a corpus of scientific articles from the field of Earth and Planetary Sciences, Environmental Sciences and Ecology. The corpus that was compiled consists of texts organised according to the structure of scientific articles, allowing for the distributional analysis of collocations across texts. This study opens up routes to an interpretation of the behaviour of collocations according to their specific roles within a genre, discourse, domain and text.

MOTS CLES

Collocations, base de données terminologiques et phraséologiques, lexicographie, analyse du discours, traduction, langues de spécialité.

KEYWORDS

Collocations, terminological and phraseological database, lexicography, discourse analysis, translation, LSPs.

1. Introduction

La présente étude porte sur la problématique de la création de ressources lexicales en vue de l’aide à la traduction et la rédaction en langue seconde dans le domaine des connaissances spécialisées. Elle s’inscrit ainsi dans la voie des recherches initiées par Henri Zinglé, dont les outils de traitement des ressources phraséologiques (Zinglé 1994, 1996, 1998), ainsi que la méthode de systématisation de la phraséologie en vue de la création de dictionnaires (Zinglé et Brobeck-Zinglé 2003), ont fortement influencé notre approche de la phraséologie scientifique. Depuis 2007, notre étude des collocations des discours spécialisés se poursuit dans le cadre du projet ARTES (Aide à la Rédaction de TExtes Scientifiques) qui a abouti récemment à la construction d’une base de données terminologiques en ligne: la base ARTES. Ce projet a la spécificité d’offrir un cadre pour l’étude des aspects lexicographiques de la création de ressources linguistiques spécialisées en s’appuyant sur l’analyse discursive du rôle des unités linguistiques dans les textes spécialisés.

La problématique que nous proposons d’explorer dans cet article est la suivante: la constitution de ressources collocationnelles en langue de spécialité peut-elle être adaptée pour refléter davantage leur fonctionnement dans le discours? Deux hypothèses de travail sont à l’origine de cette approche double des unités linguistiques, approche lexicographique et approche discursive. Notre première hypothèse est que la description et l’organisation des ressources dans une base de données fondées sur l’observation et une analyse fine du fonctionnement des unités lexicales dans le discours, permettraient de mieux rendre compte de l’usage de ces unités dans le discours. Notre deuxième hypothèse de travail est qu’une base regroupant les données terminologiques et phraséologiques permettrait d’offrir aux utilisateurs – traducteurs ou experts – des informations plus complètes pour se conformer aux conventions de communication d’un genre et d’une discipline, notamment dans une perspective de traduction ou de rédaction dans la langue seconde. En effet, parfois davantage que la terminologie, c’est souvent la phraséologie spécialisée qui est maîtrisée de façon incertaine en langue seconde.

Bien qu’à l’heure actuelle nous disposions de vastes connaissances sur ces unités complexes du lexique – connaissances accumulées grâce au regain d’intérêt général pour les collocations et la phraséologie dans les années 80 – il reste néanmoins que leur rôle discursif est encore assez peu pris en compte. Les études des collocations restent majoritairement fondées sur une analyse de corpus, généralement de grande taille, et font état des caractéristiques observées au niveau d’une langue, ou d’une langue de spécialité. Toutefois, des études commencent à démontrer que les collocations n’ont pas seulement pour fonction de marquer les profils cooccurrentiels spécifiques à une langue donnée mais également les modes d’association des termes récurrents dans une discipline et un genre. Notre étude tentera ainsi de démontrer que la distribution de ces unités dans le texte et les variations dans leurs modes d’association constituent un facteur essentiel de la textualité: ce facteur doit être pris en compte dans la perspective d’une approche lexicographique des collocations, notamment dans le cadre de la création de ressources d’aide à la traduction et la rédaction en langue de spécialité.

Dans une première partie, la présente étude approfondira la question de la place des collocations dans l’étude des langues de spécialité, établissant un état de l’art des recherches et des nouvelles tendances en la matière. La deuxième partie est consacrée à la présentation, d’une part, du projet ARTES autour duquel s’articule la présente étude et, d’autre part, de la méthodologie développée pour observer le rôle discursif des collocations dans les textes spécialisés. La troisième partie porte sur les résultats des analyses effectuées et fait état des comportements caractéristiques des collocations dans une perspective d’interprétation discursive. La dernière partie de cette étude discute les possibilités de prise en compte de ces comportements par le modèle lexicographique d’intégration des collocations dans la base ARTES.

2. Contexte théorique
2.1. Approches dominantes dans les études des collocations

L’intérêt désormais reconnu des linguistes pour les collocations et leur rôle dans les langues de spécialité nous encouragent à proposer une analyse fine des collocations dans le discours scientifique tant de point de vue de la conception de ressources lexicales que du point de vue de leur rôle spécifique dans ce type de discours. Afin de mieux situer notre étude, une définition de la notion de collocation et une mise en perspective des approches dominantes des collocations sont nécessaires.

Les collocations ont en effet donné lieu à de nombreuses définitions cherchant notamment à les opposer aux combinaisons libres et aux expressions figées. On trouve par exemple cette opposition dans la définition de Hausmann:

La collocation se distingue de la combinaison libre (the book is useful, das Buch ist nützlich, le livre est utile) par la combinabilité restreinte (ou affinité) des mots combinés (feuilleter un livre vs. acheter un livre). Elle se distingue des locutions (idioms, Redewendungen, par ex. monter un bateau à qn/jdn. durch den Kakao dringen/to pull sb’s legs) par son non-figement et par sa transparence (1989: 1010).

Cependant, établir la limite entre les collocations, notamment nominales, et les unités lexicales composées, entraîne une autre distinction qui pose des difficultés. Une définition sommaire, néanmoins pertinente, des collocations est également possible, telle que celle de Benson (1989: 3): arbitrary recurrent word combinations. (Pour une discussion sur la problématique de la définition des collocations, voir par exemple Dubreuil (2008), et sur les différents types d’unités collocationnelles, voir par exemple Granger et Paquot (2008).)

Les études sur les collocations accordent une place de première importance au contexte dans le processus d’analyse et de description des unités lexicales, créant un nouveau paradigme d’observables linguistiques autour des concepts voisins, tels que celui de collocation exploré dans des travaux de Firth (1968), Halliday (1966) et Sinclair (1966, 1991), mais également de pattern grammar approfondi par Hunston et Francis (2000) et Partington (1998) ou encore de lexical priming introduit par Hoey (2004, 2005).

Si dans une grande partie des travaux sur les collocations et la phraséologie, l’accent est mis sur la nécessité de création de ressources collocationnelles (e.g. Hausmann 1979, Heid et Freilbott 1991, Pavel 1993, Fontenelle 1994, Benson et al. 1997, Meynard 1997, L’Homme et Meynard 1998, Siepmann 2006, Tutin 2007, 2008, Pecman 2008, Pecman et al. 2010, Kübler et Pecman 2012, etc.) et l’importance de ce type d’unité pour une bonne maîtrise de la langue seconde (e.g. Mel’čuk 1993, Howarth 1996, Granger 1998), les plus récentes avancées en la matière tentent d’évaluer leur rôle dans la construction du discours et des genres textuels (e.g. Viprey 2006, Biber et al. 2007, Bordet 2011). Par conséquent, après les approches didactique et lexicographique, dominantes jusqu’à présent, qui orientaient les recherches vers la création de ressources phraséologiques et les problématiques de consignation des collocations dans les dictionnaires, semble se dessiner une nouvelle voie de recherche qui vise à replacer la phraséologie dans le domaine de l’analyse du discours et de la structuration informationnelle du texte, c’est-à-dire de la construction du sens au niveau du texte. Cette nouvelle dimension présente par ailleurs l’avantage de permettre de parfaire également nos approches lexicographiques de ce type d’unité, en renforçant nos connaissances sur les collocations.

Combiner les approches lexicographique, didactique et discursive a une double conséquence. D’une part, cela permet de rapprocher la création de ressources lexicales de l’étude de la grammaire des textes. D’autre part, cela permet d’évaluer la possibilité de la mise en place d’une démarche onomasiologique dans l’analyse des lexiques spécialisés, et plus particulièrement des lexiques transdisciplinaires (Pecman 2007). L’avantage non négligeable de cette démarche est que dans la phase de création de ressources lexicales, elle permet d’envisager un double accès aux données, soit à partir de leur forme soit à partir de leur contenu sémantique.

A côté de nombreux travaux sur les collocations d’une langue de spécialité donnée (pour n’en citer que quelques-uns: Williams (1999) sur le domaine des plantes parasites, Gledhill (2000) sur le domaine de la pharmaceutique liée à la recherche sur le cancer, Volanschi (2008) sur le domaine de la biologie de la levure), depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’études abordent les lexiques transdisciplinaires, mettant l’accent sur la question de l’identification, de la description et de l’utilité de ce type de ressources (e.g. Coxhead 2002, Coxhead et Hirsh 2007, Pecman 2007, Tutin 2007, 2008, Simpson-Vlach et Ellis 2010). L’analyse des lexiques transdisciplinaires soulève également la question du rôle des collocations dans la construction d’un discours et d’un genre étant donné que le lexique transdisciplinaire transcende les spécificités linguistiques des domaines pour se nicher dans celles des genres et des discours.

Par-delà les domaines, les genres et les discours, la collocation est également un phénomène linguistique marquant des textes. Par conséquent, une étude sur des collocations et sur des textes, se doit de chercher un moyen de rendre compte de leur interaction.

2.2. La collocation comme élément de cohésion textuelle

Dans la partie précédente, nous avons souligné que l’approche lexicographique, orientée notamment vers la constitution de ressources pour pallier les problèmes de traduction et de maîtrise des collocations en langue seconde et/ou en langue de spécialité, a longtemps été l’approche dominante dans le contexte de l’étude des collocations. Notre étude cherche à proposer des pistes pour une prise en compte de la dimension discursive dans l’étude des collocations, tant pour aboutir à une meilleure compréhension du rôle des collocations dans la langue que pour rendre leur traitement lexicographique plus efficace. Nous pensons en effet que les méthodes lexicographiques actuelles de création de ressources collocationnelles pourraient être améliorées par une mise en perspective discursive. Cette nouvelle approche apporterait notamment des éléments d’informations intéressants pour la résolution des problèmes rédactionnels et traductionnels que le maniement des collocations peut poser au sein de l’objet clos et marqué par une finalité discursive que constitue le texte.

L’étude des collocations est généralement fondée sur l’analyse d’un corpus recueillant de grandes quantités de textes, dont les spécificités (couverture en domaine, type de document, langue, etc.) dépendent des applications visées. Pourtant, les collocations, en tant que phénomènes coocurrentiels, ne se manifestent pas uniquement à travers un corpus de textes, mais également dans une fenêtre plus restreinte, celle d’un texte. En effet, la coprésence régulière de deux unités linguistiques dans une fenêtre textuelle donnée joue un rôle important dans la cohérence globale du texte, rôle qui ne peut être efficacement perçu dans un corpus où les frontières entre textes sont rompues.

Le texte représente la dimension la plus complexe de l’aboutissement langagier. Il constitue néanmoins une unité linguistique identifiée par sa forme et ses caractéristiques, et est étudié en tant qu’ensemble clos (cf. de Beaugrande 1980; Rastier 1987, 1989). C’est un objet suprême de la langue dont la description nécessite la prise en compte de plusieurs niveaux d’analyse: microstructure, macrostructure, suprastructure; étude de la situation d’énonciation, de l’intertextualité, pour n’en citer que quelques-uns.

Récemment, l’analyse des discours scientifiques a mené au concept de « moves » (Hyland 2004; Biber et al. 2007), fondé sur les travaux de Swales (1990) selon lesquels différentes portions d’un texte correspondent aux fonctions pragmatiques codées qu’elles assurent au sein d’un genre, telles que: la description du contexte théorique, la déclaration d’une intention de recherche, la précision de l’objet d’étude, la présentation des outils et des méthodes, ou encore la présentation des résultats et des conclusions auxquelles on a abouti. A ces différentes fonctions correspondraient des collocations particulières. En d’autres termes, ce sont les combinaisons stéréotypées d’items lexicaux qui contribueraient à la mise en place de ces différentes fonctions au sein d’un texte.

Les recherches sur les collocations correspondant à ces unités informationnelles codées des textes spécialisés – qu’elles soient désignées par « moves », par « mouvements rhétoriques », « fonctions rhétoriques » ou « fonctions discursives » – ont été prises en compte dans la conception de la base ARTES, notamment dans le traitement des collocations non spécifiques aux domaines (cf. section 5). Dans la terminologie de la base ARTES, nous parlons des « fonctions discursives » que nous définissons comme unités textuelles au contenu informationnel attendu, qui s’actualise dans des structures lexico-grammaticales reconnaissables au sein d’un type de discours, et, nécessairement, d’un type de genre textuel.

Plus généralement, une des propriétés centrales reconnue des textes, qu’ils soient spécialisés ou non, est la cohérence (cf. Halliday et Hasan 1976) qui repose sur divers éléments de cohésion: anaphores, isotopies, ellipses, structures à thème-rhème, etc. Ces éléments de cohésion participent, à travers le mécanisme de répétition et de progression, à la création d’un objet réticulaire complexe dont les récurrences, les échos, assurent précisément l’unité.

Il a été démontré que la cooccurrence est un élément de cohésion textuelle très fort (Halliday et Hasan 1976; Hoey 1991). Halliday et Hasan (1976: 285-6) en particulier avaient illustré le rôle des collocations continues ou discontinues binaires (e.g. laugh…joke, blade…sharp, garden…dig, ill...doctor, try...succeed, bee...honey), mais également des structures collocationnelles plus complexes qui forment de véritables chaînes collocationnelles (e.g. hair...split-ends...comb...blow-dry...perm), dans la création de la texture du texte. L’analyse présentée dans la section 4 de cet article montre que les collocations, de par leur récurrence d’apparition dans un texte, ont un pouvoir cohésif très fort.

Comme nous l’avons mentionné dans la partie précédente, la tendance actuelle est de croiser l’étude des phénomènes collocationnels avec l’analyse du discours. Ces pistes de recherche offrent un éclairage novateur sur des phénomènes cooccurrentiels complexes comme les chaînes ou réseaux collocationnels, nommés et modélisés parfois différemment selon les linguistes (cf. le concept de « cascades d’expressions » de Gledhill (2011), de « cooccurrence généralisée » de Viprey (2006) ou de « poly-cooccurrence » de Martinez (2003)). Ces réseaux construisent des structures d'équivalence, ou de résonance, relativement prévisibles mais aussi productives, qui sont comme scellées dans le texte et sur lesquelles repose l’agencement de la structure textuelle.

Enfin, plus rarement, l’analyse des phénomènes cooccurrentiels est envisagée de façon à dépasser la linéarité des textes et un relevé essentiellement statistique des faits collocationnels, par une prise en compte des contraintes distributionnelles, dans la tradition harrissienne, qui pèsent sur l’emploi des collocations dans les différents mouvements du texte. Notre étude montre que l’analyse distributionnelle tout particulièrement permet une caractérisation plus fine des comportements et des fonctions des collocations au sein de ces unités suprêmes de langage qui se croisent et néanmoins demeurent distinctes: discours, genre, texte.

3. Méthodologie

Nous avons développé une méthodologie d’analyse des textes adaptée à l’observation de la distribution des collocations à travers les discours, genres et textes, méthode que nous expliquons dans cette section. Elle conduit à une analyse discursive des collocations dont les résultats pourront trouver des applications dans le développement de ressources lexicales, telles que celles visées par le projet ARTES, que nous présentons en première sous-partie.

3.1. Création de ressources lexicales avec le projet ARTES

Le projet ARTES (Aide à la Rédaction de TExtes Scientifiques) a été conçu pour exploiter les divers aspects des études en terminologie et en langues de spécialité: d’une part l’aspect didactique visant la formation à la traduction spécialisée, à la rédaction en langues de spécialité et à la conception de ressources linguistiques, et, d’autre part, l'aspect linguistique visant à parfaire nos connaissances sur les lexiques et les discours spécialisés. Le projet permet par conséquent de faire le pont entre la recherche et l'enseignement en langues de spécialité, et plus spécifiquement en traduction spécialisée (Pecman et Kübler 2011).

Lancé en 2007 à l’université Paris Diderot par les chercheurs travaillant sur les langues de spécialité au sein de l’équipe CLILLAC-ARP, ce projet a abouti en 2011 à la création d’une base de données terminologiques et phraséologiques en ligne: la base ARTES. Cette base a été conçue de manière à permettre l’évolution de son architecture en fonction des avancées de nos recherches sur les langues de spécialité, et en fonction des besoins des divers utilisateurs visés par l’outil: traducteurs, chercheurs, experts, qu’ils soient confirmés ou apprenants.

De par la richesse des informations qu’elle cherche à fournir (cf. section 5 de cette étude), elle vise à proposer une ressource complémentaire aux banques de données terminologiques connues, telles que Termium, Grand Dictionnaire Terminologique ou Eurodicautom, désormais connu sous le nom IATE. La base ARTES est toutefois plus proche des initiatives pour la création de ressources linguistiques où l’enseignement, la recherche et la conception de ressources sont très étroitement liés, telles que le projet DiCoInfo, ou son cousin DiCoEnviro ou encore le projet WebTerm.

L’utilité indéniable des ressources consacrées aux langues de spécialité justifie pleinement l’effort visant à améliorer l’approche lexicographique de ce type de données lexicales par une analyse de leur fonctionnement discursif.

3.2. Constitution et interrogation du corpus
3.2.1. Sélection des textes

La constitution du corpus et la sélection des textes ont été menées en fonction des objectifs de cette étude qui sont:

  • l’observation des phénomènes collocationnels au niveau d’un genre et d’un type de discours, en l’occurrence à l’intérieur des articles scientifiques;
  • l’observation de la distribution des phénomènes collocationnels à l’intérieur d’un texte.

Les collocations spécifiques à un genre et à un type de discours peuvent être observées de manière efficace dans un corpus comportant des documents du même genre mais portant sur des domaines différents. Pour cette étude, nous avons choisi un corpus d’articles scientifiques issus de différentes disciplines des sciences de la terre, de l’environnement et de l’écologie. Notre hypothèse est qu’une collocation spécifique à un genre aura tendance à transcender les domaines et, par conséquent à se manifester à travers le corpus entier. Un tel corpus permettra aussi d’opposer les collocations qui se manifestent à travers un genre à celles qui sont caractéristiques d’un domaine ou d’un texte.

Une alternative pour typer les collocations spécifiques aux genres serait sans doute de constituer un corpus de textes relevant de genres différents mais portant sur un même domaine. Cela permettrait par exemple de faire ressortir les propriétés spécifiques aux différents genres (par exemple celles d’un article scientifique, par opposition à celles d’une communication orale, ou encore d’un article de presse à visée de vulgarisation). Cette méthode n’est pas explorée dans le présent article, étant donné que la base ARTES est orientée davantage vers les ressources destinées à la rédaction et la traduction d’articles scientifiques, mais elle pourra constituer une orientation de recherche dans le futur.

Considérant la finesse d’analyse à laquelle nous souhaitions parvenir, nous avons décidé d’utiliser deux corpus. Le premier est un corpus de très petite taille comportant 49.000 mots, soit dix articles scientifiques dont il a été possible de procéder à un découpage des textes (cf. 3.2.2.) et à une analyse détaillée, combinant analyse manuelle et automatique. Ce corpus est considéré comme le corpus principal. Il comporte des textes portant sur les sciences de la terre, l’environnement ou l’écologie qui sont majoritairement des publications récentes (huit articles de 2000-2011 et deux plus anciens de 1943 et 1986).

Pour certains types d’analyses, un corpus de taille plus importante a permis de vérifier les tendances observées dans le corpus principal. Nous avons ainsi utilisé également un corpus de 14.620.000 mots portant sur les différentes disciplines des sciences de la terre (e.g. volcanologie, tectonique des plaques, sismologie, glaciologie, etc.) pour confirmer certaines pistes d’interprétation. Nous nous référons à ce corpus dans la section analyse sous le terme de « corpus STEP, » tandis que le corpus principal est nommé « corpus IMRAD. »

Soulignons encore que les deux corpus recueillent des textes collectés grâce à des banques de données textuelles telles que ScienceDirect. Les textes ont été sélectionnés après consultation avec des chercheurs en STEP pour garantir leur représentativité de la langue de spécialité en question. Ces textes n’étant pas libres de droits, les corpus ne sont pas destinés à la diffusion. Nous exploitons donc uniquement les données textuelles extraites de ces articles.

3.2.2. Découpage des textes en mouvements rhétoriques

Afin de permettre une analyse plus fine du comportement des collocations, nous avons procédé au découpage des textes du corpus IMRAD en fonction des sections définies dans les articles. Nous nous sommes fondée sur la structure IMRAD des articles scientifiques pour élaborer un modèle de découpage qui permet de prendre en compte la structure classique des textes, mais également les différences parfois manifestes d’un article à l’autre. Les Figures 1 et 2 montrent le modèle suivi et l’organisation des textes en corpus et sous-corpus. Par rapport au modèle IMRAD classique qui mentionne les parties clés des articles (Introduction, Méthodes, Résultats et Discussion) notre modèle détaille toutes les sous-parties potentiellement identifiables dans un article et prévoit une possibilité d’adaptation de ce modèle pour les articles qui ne se plient que partiellement à cette structure. Par exemple, un article qui n’indique pas de manière explicite les sous-parties méthodes, résultats et discussion (numérotées 4 à 6 dans notre modèle), mais qui comporte néanmoins plusieurs sous-parties entre l’introduction et la conclusion, est découpé et codé de façon à indiquer l’emplacement, le nombre et l’ordre de ces sous-parties dans l’ensemble de la structure du texte: 4-6_part1of5, 4-6_part2 of5, 4-6_part3of5, etc. (cf. l’illustration dans la Figure 1).


Figure 1: Modèle de découpage des textes en sections IMRAD


Figure 2: Constitution du corpus et des sous-corpus selon le modèle IMRAD

La présente étude constitue ainsi un essai de la prise en compte des mouvements des textes dans l’analyse de la distribution des collocations.

3.2.3. Interrogation du corpus

Pour interroger le corpus, nous avons tout d’abord procédé à une analyse manuelle des dix textes de notre corpus principal (cf. 3.2.1) afin de repérer les cas potentiels de collocations significatives. Dans un deuxième temps, nous avons tiré parti de la rigueur des outils d’analyse automatique pour vérifier si les phénomènes observés manifestent une distribution répartie au niveau du domaine, du genre, ou plutôt à l’intérieur d’un texte.

Nous avons choisi d’interroger le corpus à l’aide du logiciel Textométrie (TXM), qui intègre les dernières technologies en matière de TAL et qui permet de formuler des requêtes en Corpus Query Language (CQL). L’un des avantages de ce langage est de pouvoir extraire des listes de concordances pour des schémas lexico-grammaticaux complexes, tels que:

[word="provide.*"][]{0,10}[word="information|explanation.*|indication.*|insight.*"]

et par conséquent de lister des contextes comportant des collocations aussi diverses que:

to provide information to/that, to provide an alternative explanation of, to provide some insights into, to provide some indication of, etc.

La méthode, combinant une analyse manuelle et automatique, permet ainsi de formuler les hypothèses sous forme de requête et de vérifier la validité de ces mêmes hypothèses dans l’ensemble du corpus. Parmi les nombreuses structures collocationnelles observées, nous présentons ici quelques exemples.

4. Analyse distributionnelle et lexicographique des phénomènes collocationnels

Les résultats de nos observations du comportement des collocations dans les articles scientifiques sont illustrés par des exemples représentatifs de ces comportements. L’analyse consiste en un essai de caractérisation des collocations quant à leur comportement discursif. Dans la dernière section de cet article, nous montrons les applications possibles de ce type de recherche pour le traitement lexicographique des collocations tel qu’il a été mis en place dans la base ARTES.

Deux grands types de comportement ont pu être relevés: les collocations dont la distribution marque un fonctionnement au niveau du genre, et celles dont la distribution présente davantage un ancrage à l’intérieur soit d’un texte soit d’un domaine. Les premières sont par ailleurs liées à un type de discours – en l’occurrence, dans le cas de cette étude, au discours scientifique – et les dernières sont liées à un type de connaissances – dans le cas de cette étude il s’agit des connaissances liées aux domaines représentés par le corpus.

4.1. Analyse distributionnelle des collocations spécifiques au genre et au type de discours

Il s’agit de repérer les collocations qui pourraient être conditionnées par le genre textuel ou type de discours. Chaque communauté de discours a ses genres textuels privilégiés. Par exemple, l’article scientifique, la communication à un colloque, la monographie, la contribution à un ouvrage, le rapport sur un projet de recherche, la thèse, l’HDR, l’abstract, etc. sont autant d’exemples de genres caractéristiques des diverses communautés scientifiques. Chaque genre textuel propose un cadre ou schéma de communication et des marqueurs linguistiques qui permettent de l’identifier. Les genres vont souvent de pair avec les types de discours qui eux désignent l’ensemble des productions langagières d’une communauté linguistique ciblée, tels que les discours scientifique, administratif, politique, médiatique, juridique, etc. Un type de discours est donc lié à une langue de spécialité – dans la lignée de l’opposition entre langue et parole ou langue et discours – tandis qu’un genre est la forme sous laquelle se réalise un discours.

Les collocations présentant une cooccurrence des items lexicaux à l’intérieur d’un genre et d’un type de discours peuvent être caractérisées comme « génériques » du point de vue de leur contenu sémantique, dans la mesure où elles ne servent pas à désigner une information ou connaissance d’un domaine spécifique: par ex. to provide explanation, to provide insight, we further thank anonymous reviewers for, to thank sb for their constructive comments, etc.

La Figure 3 montre à titre d’exemple une requête formulée à partir d’un cas de collocations lexicales (par opposition aux collocations grammaticales dont un exemple sera discuté ci-après), i.e. dont les items cooccurrentiels sont tous les deux de nature lexicale: to provide information/explanation/insight/indication.

Leur présence et leur distribution à travers différentes disciplines suggère un emploi spécifique au genre (article) et type de discours (scientifique).


Figure 3: Cooccurrence de provide avec information, explanation, indication, insight dans le corpus IMRAD

L’interrogation du corpus des STEP, de taille plus importante, a permis dans tous les cas de corroborer nos interprétations, par le nombre important d’occurrences correspondant à des schémas collocationnels que nous avions identifiés dans notre corpus IMRAD. La Figure 4 montre, à titre d’exemple, un échantillon des 870 occurrences du même schéma dans le corpus STEP.


Figure 4: Cooccurrence de provide avec information, explanation, indication, insight dans le corpus STEP

Les collocations relevées dans le corpus STEP permettent de faire l’hypothèse d’un schéma plus complexe et plus détaillé que celui fondé sur le corpus IMRAD:

to provide (additional/accurate/qualitative/detailed/all the) information on/to; to provide (general/complete/conceptual/compelling) explanation for; to provide (correct/crude) indication of; to provide (additional/clear) insight into

Le corpus IMRAD offre l’avantage de pouvoir prendre en compte les caractéristiques distributionnelles des collocations. Le comportement de ce type de collocations selon les différentes sections des articles, présenté dans la Figure 3, suggère un emploi restreint à des parties qui servent davantage à présenter les aboutissements d’une étude ou recherche, tels qu’abstract, résultats et conclusion. Cette distribution concorde avec le contenu sémantique de ces collocations qui servent à formuler une interprétation des résultats et de leur utilité pour la compréhension des phénomènes observés (cf. par exemple le Tableau 2 pour l’étiquetage de ce type de collocations dans la base ARTES selon leur fonction discursive).

La Figure 5 illustre une requête formulée à partir d’un cas de collocation grammaticale, i.e. dont l’un des items cooccurrentiels est de nature lexicale et les autres de nature grammaticales (pronom et préposition en l’occurrence): we/I thank … for :


Figure 5: Collocations de we/I thank … for dans le corpus IMRAD

L’hypothèse d’un schéma sous-jacent pourrait être formulée de la manière suivante:

I/we (wish to/would like to) (also/further) thank sb/anonymous/reviewers/staff/volunteers for (their/his/her) (very) (helpful/constructive) comments/suggestions/technical assistance/support

D’un côté, la distribution à travers différents textes des collocations présentée dans la Figure 5 suggère qu’il s’agit bien d’un schéma qui transcende les disciplines – en d’autres termes qu’il s’agit bien des collocations spécifiques à un genre et un type de discours. De l’autre côté, la distribution très peu étendue permet d’affirmer que l’emploi de ce type de schéma est très codé et réservé à la section des remerciements.

L’analyse du cas des collocations spécifiques au genre montre qu’elles peuvent avoir une distribution restreinte à travers les différentes sections des articles et que, de ce fait, elles constituent un élément connu et attendu de la part du lecteur, qui fait partie de la même communauté scientifique de locuteurs que l’auteur. Comme le fait remarquer Bordet (2011), l’utilisation de ces mêmes formules stéréotypées participe à la construction d’une sorte de zone de proximité avec le lecteur, qui doit reconnaître dans l’article scientifique son propre univers de discours. Par conséquent, elles jouent un rôle cohésif très fort au niveau du genre.

4.2. Analyse distributionnelle des collocations à l’intérieur d’un texte

L’analyse distributionnelle des collocations à l’intérieur d’un texte permet d’illustrer le comportement et le rôle des collocations au niveau de la construction du texte. Nous prenons comme exemple les combinaisons récurrentes entre l’item lexical weak – pouvant être caractérisé comme générique du point de vue de son contenu sémantique – avec des termes qui renvoient à un des concepts spécifiques du domaine de la minéralogie et de la tectonique des plaques: talk, clay, phyllosilicate, foliation, fault, etc. Afin de prendre en compte toutes les variations potentielles, nous avons lancé la recherche à partir du morphème weak; ce qui a permis de relever tous les cas de dérivation.

Les Figures 6 et 7 montrent une très forte concentration du morphème weak (44 occurrences au total) qui, dans un même texte, présente deux caractéristiques. La première est sa forte tendance à la variation dérivationnelle: weak, weaker, to weaken, weakened, weakening, weakness. La deuxième est sa régularité dans les combinaisons avec des items spécifiques du domaine: mineral, clay, talc, layer, interlayer, foliation, fault, etc.


Figure 6: Occurrences du morphème weak dans le corpus IMRAD


Figure 7: Suite des occurrences du morphème weak dans le corpus IMRAD

Les résultats d’interrogation du corpus permettent de proposer plusieurs éléments d’interprétation pour ce cas. Tout d’abord, le schéma collocationnel sous-jacent de weak repose sur le phénomène de métonymie par l’association de cet item avec des termes désignant une substance – mineral, clay, talc ou phyllosilicate – ou une formation contenant cette substance – layer, interlayer, phase, foliation, gouge – et finalement par la localisation de cette formation sur un édifice géologique, en l’occurrence fault; ce qui explique qu’on puisse trouver des combinaisons du type: weak mineral, weak layer ou weak fault. Ce schéma pourrait être formulé en CQL de la manière suivante:

  • [word="weak"] [sem="substance" OR word="mineral|clay|talk|phyllosilicate"] |[sem="formation" OR word="layer|interlayer|phase|foliation|gouge"]| [sem="location" OR word="fault"]

Ensuite, le schéma collocationnel repose sur une distribution entre les formes dérivées de base (weak, weaker, weaken, weakened) et les formes résultant de la nominalisation (weakening et weakness) dans la mesure où les premières marquent une tendance à être suivies par un nom, tandis que les dernières se combinent davantage avec un certain type de verbes (to induce… ou …can occur, may vary, depends on) et admettent une caractérisation de type adjectival (significant, apparent, induced, gradual, dynamic…). Le Tableau 1 permet de résumer ces tendances.

 

weak

mineral, talc, clay, phyllosilicate
layer, phase, foliation, gouge
fault

 

weaker

talc interlayer
fault zones

 

weaken

fault, gouge

 

weakened

layer

to induce
gradual, dynamic

weakening

 

can occur
may vary
depends on

fault (zone)
to induce
significant, apparent, induced

weakness

 

of (these/mature) faults

Tableau 1: Schéma collocationnel du weak et de ses dérivés

L’élément complémentaire d’analyse porte sur la distribution des collocations du morphème weak qui se révèle être très forte – titre, abstract, introduction, résultats, discussion, figures – (la seule section non représentée étant la méthode). On peut donc penser que les collocations, dans leur variation et leur unicité, assurent la cohésion et la progression au niveau du texte. Les structures collocationnelles variées permettent de déplacer la focalisation d’un mouvement de texte à l’autre.

Enfin, un dernier élément d’analyse porte sur le recours systématique à la variation à travers les dérivés de weak. Ce transfert d’un item lexical générique à travers les catégories grammaticales repose sur le mécanisme de « métaphore grammaticale » (cf. Halliday 1998) qui, dans le discours scientifique, permet de problématiser une notion a priori générique et par là de la glisser dans un domaine spécialisé.

4.3. Analyse des collocations spécifiques à un domaine de connaissances

Il est tout à fait possible de relever des combinaisons lexicales qui n’ont pas forcément un fonctionnement saillant à l’intérieur d’un texte, ni une distribution qui pousserait à leur attribuer un rôle dans la reconnaissance d’un genre textuel, mais qui portent sur des connaissances spécifiques à un ou plusieurs domaines. Ce sont d’ailleurs les collocations le plus souvent observées dans les études en langues de spécialité, ces études s’appuyant sur des corpus de domaines.

Dans notre corpus principal, nous pouvons relever le cas du verbe accommodate qui se combine avec d’autres termes du domaine. La Figure 8 montre les concordances de ce terme verbal dans le corpus IMRAD. Employé d’habitude dans la langue générale, ce verbe pourrait passer inaperçu. Or, il s’agit bien d’un terme du domaine qui, dans la structure to accommodate a slip, renvoie à un sens particulier en tectonique des plaques. On est ici en présence d’un glissement du sens premier très général (« adapter, arranger qqch ») vers un sens plus spécialisé (« action de rétablissement de l’équilibre tectonique suite à un mouvement principal par les mouvements secondaires qui cherchent à repositionner les plaques le plus favorablement possible »). Le schéma de combinaison to accommodate a liquid into sth relève du domaine de la géodynamique et montre une autre acception de ce terme dans un domaine connexe.


Figure 8: Collocation de accommodate et de ses dérivés dans le corpus IMRAD

Le corpus STEP confirme cette tendance avec 1096 occurrences de accommodate et ses dérivés dont un échantillon, présenté à la Figure 9, permet d’avancer le schéma suivant: to accommodate a slip/deformation/extension, ou la version nominalisée: the accommodation of a slip/deformation/extension.


Figure 9: Collocation de accommodate et de ses dérivés dans le corpus STEP

Toutefois le faible nombre d’occurrences de ce schéma dans le corpus IMRAD ne nous permet pas d’offrir une caractérisation pertinente de leur comportement du point de vue distributionnel, autre que d’observer une tendance à figurer dans les sections liminaires des articles, notamment dans la partie discussion et, dans une moindre mesure, dans la partie introduction.

5. Applications au traitement lexicographique des collocations dans la base ARTES

Afin de fournir des ressources utiles pour la traduction et la rédaction en langue de spécialité, la base ARTES répertorie non seulement des termes mais également des expressions plus ou moins stéréotypées autour de ces termes ainsi que des formulations d'argumentation fréquemment utilisées dans les textes spécialisés. Elle permet de stocker des informations lexicales sans restriction quant aux domaines ou aux langues. Chaque entrée de la base comporte un ensemble de rubriques permettant de renseigner les utilisateurs sur l'emploi des unités linguistiques, telles que les définitions, les synonymes, les contextes, les collocations, les équivalents, etc. En complément de la terminologie, la base accorde ainsi une place importante au contexte et à la phraséologie, qu’il s’agisse de la phraséologie spécifique aux domaines ou de la phraséologie transversale, plus caractéristique des genres et des types de discours. Par ailleurs, la base ARTES est munie de deux applications: l’une pour l’édition et la gestion de la base, et l’autre pour la consultation des données en libre accès.

La consignation des collocations dans une base de données, dont le but est d’offrir des ressources pour la traduction et la rédaction en langue de spécialité, pose des problèmes lexicographiques majeurs. Dans nos travaux précédents (cf. Pecman 2008), nous avons déjà exploré certains aspects du traitement lexicographique des collocations, notamment du point de vue de l’accès offert aux ressources ou des problèmes posés par la lemmatisation des collocations. Si les problèmes lexicographiques de présentation des ressources collocationnelles demeurent d’actualité, les projets tels que ARTES permettent d’explorer les pistes pour les résoudre.

La base ARTES reflète ainsi les apports de l’approche discursive des collocations dans les choix lexicographiques qui ont été faits pour intégrer les collocations à des ressources terminologiques. A notre connaissance, le projet ARTES est unique dans le sens où il accorde une importance égale à la terminologie et à la phraséologie des langues de spécialité, et où il cherche à caractériser cette dernière tant du point de vue des domaines, que des genres et des types de discours.

Dans l’état actuel de nos recherches, menées dans le cadre de ce projet, les collocations spécifiques aux domaines sont consignées dans les fiches terminologiques. Elles sont donc liées aux termes, et par voie de conséquence elles sont catégorisées en fonction des domaines. Par exemple, la collocation to accommodate a slip devra être enregistrée dans la fiche terminologique de chacun des termes la composant: accommodate et slip.

Les collocations spécifiques aux genres sont consignées indépendamment des domaines et des termes. Dans la terminologie ARTES, elles sont appelées « collocations génériques » et elles sont associées à un type de discours dominant – scientifique, technique, administratif, socio-économique, politique ou médiatique, etc. – et à l’une des « fonctions discursives » (cf. la partie 2.2 pour une définition de ce concept) dégagées dans une analyse préalable des textes scientifiques (Pecman 2007) et dont certaines sont offertes, à titre d’exemple, dans le Tableau 2. Le tableau montre également que les collocations génériques peuvent prendre des formes très diverses.

Collocations génériques

Fonction discursive associée

to provide (some) insights into

Décrire, interpréter et analyser les données ou phénomènes observés

to thank sb for very helpful comments

Exprimer des remerciements

the most complete account of (sth) is found in

Faire un renvoi à une personne ou une œuvre connue

these findings are first to describe

Parler des résultats et des découvertes de manière positive

my concern here is with

Annoncer le sujet de la section courante

there is little doubt (that)

Exprimer une incertitude ou une atténuation

as previously mentioned

Faire un renvoi à une partie dans le discours en cours

in much the same manner

Exprimer une compatibilité, une corrélation, une analogie ou une similitude

by contrast

Souligner une différence, une dissemblance ou une opposition

in this paper we survey the state of art in

Evoquer le sujet de son étude

Tableau 2: Exemple de collocations génériques associées à diverses fonctions discursives

Dans l’état actuel des recherches, quelques 80 fonctions discursives ont été répertoriées. Une telle classification offre une analyse plus fine et plus graduée que celles qui reposent sur la structure IMRAD des articles scientifiques. Les fonctions discursives constituent le point d’accès aux collocations génériques depuis l’application de consultation de la base ARTES (cf. Figure 10, encadré à gauche).


Figure 10 : Interface du dictionnaire de consultation de la base ARTES montrant un accès aux collocations génériques par fonctions discursives

A ce stade du projet, la méthode de consignation des collocations consiste à offrir pour chaque collocation un exemple illustrant l’usage de la collocation en contexte. De ce fait, les collocations sont enregistrées en tant qu’actualisations observées dans les textes en suivant la méthode de découpage en unités lexico-grammaticales minimales, à partir desquelles il est possible de reconstruire différents schémas (cf. Figure 10, encadré à droite).

Une analyse et réorganisation des données pour reconstruire des schémas lexico-grammaticaux sous-jacents restent donc néanmoins une perspective de ce type d’approche des ressources. Les collocations servant à exprimer un remerciement pourraient ainsi être présentées sous la forme suivante:

I/we (wish/would like to) (also/further) thank sb/anonymous reviewers/staff/volunteers for (their/his/her)? (very)? (helpful/constructive)? comments/suggestions/technical assistance/support

Nous pensons que la prise en compte des dimensions du discours, du genre et du texte dans les études sur des collocations, pourrait encore nous aider à améliorer leur traitement lexicographique dans la base ARTES.

6. Conclusion

Loin d’être un simple fait statistique, les collocations, en tant qu’associations privilégiées de deux ou plusieurs unités linguistiques, assurent des fonctions discursives qu’il est possible de caractériser à travers une analyse distributionnelle des collocations. Cette étude met en évidence le rôle spécifique des collocations au niveau du genre, du type de discours, d’un domaine de connaissances et d’un texte clos. D’ordinaire, les collocations dans les langues de spécialité sont considérées presque exclusivement à l’intérieur d’un domaine, et interprétées comme éléments caractéristiques de ce même domaine de connaissances. Notre étude montre que changer de prisme d’observation, pour se focaliser sur le genre ou sur un texte clos, ouvre des voies pour une nouvelle interprétation des phénomènes collocationnels. Certains comportements, au niveau du genre notamment, montrent la capacité des collocations à assurer, à travers un texte, l’identification à une communauté de discours et un mode de communication. Ainsi, la réutilisation de formules stéréotypées dans les articles scientifiques (e.g. the outcome/findings/results of this study suggest; in regard to, in regards to, in this regard) fonctionne comme un élément cohésif du genre. A l’intérieur d’un texte, les collocations permettent d’assurer à la fois sa cohésion et sa progression, par les reprises et les variations qui ponctuent les différents mouvements textuels (e.g. weak layer > weak fault > weaker talc interlayer > to induce weakness of faults). L’analyse discursive des collocations offre ainsi une approche très fine des phénomènes cooccurrentiels. Elle permet d’améliorer nos connaissances sur ce type d’unité linguistique et nos méthodes de création de ressources collocationnelles. La base de donnée ARTES, qui intègre la terminologie et la phraséologie spécialisées, permet d’expérimenter la création de ressources phraséologiques où l’on opère la distinction entre les collocations spécifiques aux domaines (e.g. to accomodate a slip, to weaken a fault) et celles spécifiques à un type de genre et de discours (e.g. to provide insigts into sth, we wish to further thank sb, to thank anonymous reviewers for their useful comments). Enfin, cette approche lexico-discursive des collocations permet de construire des ressources plus adaptées à la traduction et la rédaction en langue de spécialité.

Remerciements

Je saisis ici l’occasion de rendre hommage et d’exprimer ma reconnaissance envers le Professeur Henri Zinglé qui m’a fait découvrir la phraséologie et les approches de la linguistique appliquée qui, depuis, nourrissent mes recherches en langues de spécialités. Je tiens à remercier également Geneviève Bordet et deux relecteurs anonymes de la revue JoSTrans pour leurs remarques constructives qui ont permis d’améliorer sensiblement cet article.

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Webographie
Biography

Mojca Pecman is in charge of courses on terminology and lexical resources creation in the department of Applied Languages at Paris Diderot University. Her research focuses on terminology, phraseology, discourse analysis, LSPs, specialised translation, and corpus linguistics. She is currently carrying out a research project on the creation of terminological and phraseological resources which led to the design of the ARTES online multilingual and multidomain database with a view to improving translation-related research and studies. Contact: mpecman@eila.univ-paris-diderot.fr.